Le père, la mère et le frère aîné des trois adolescentes trouvées mortes le 30 juin dernier dans les eaux du canal Rideau, à Kingston, ont été formellement accusés de meurtre prémédité, hier. Selon nos informations, la famille avait fait l'objet de signalements auprès de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) quelques mois avant le drame.

Mohammad Shafia, 56 ans, sa femme Tooba Yahya Mohammad, 39 ans, et leur fils Hamed Mohammad Shafia, 18 ans, font face à quatre chefs d'accusation de meurtre prémédité et de complot pour meurtre.

La police les soupçonne d'avoir assassiné Zainab, 19 ans, ses soeurs Sahari et Geeti, âgées de 17 et 13 ans, et Rona Amir Mohammad, 52 ans, la première femme de M. Shafia. Les quatre femmes ont été trouvées mortes à l'intérieur de la voiture de Mohammad Shafia. La Nissan Sentra noire était immergée dans le lac Colonel By, à l'embouchure du canal Rideau, à Kingston Mills, à 300 km de Montréal.

La Presse a appris que la DPJ est intervenue à au moins trois reprises auprès de la famille Shafia, qui vivait depuis deux ans dans l'arrondissement de Saint-Léonard, à Montréal.

Selon des sources policières, le fils aîné de la famille, Hamed, était très dur avec ses soeurs. Il assumait une bonne part de l'autorité au sein de la famille quand son père voyageait à l'étranger.

En avril, l'aînée, Zainab, avait même porté plainte à la police, qui avait confié le cas à la DPJ, puisque le frère aîné était mineur à l'époque. Les victimes, qui ne voulaient pas témoigner, se seraient rétractées.

Les enquêteurs montréalais ont pris possession des dossiers de la DPJ, selon nos informations. Hier, l'organisme n'a ni confirmé ni infirmé la nouvelle.

Les informations recueillies par La Presse confirment le témoignage de la soeur de Rona Amir Mohammad, Diba Masoomi. Dans un courriel adressé il y a deux semaines à la police de Kingston et aux médias locaux, Mme Masoomi a allégué que la fille aînée des Shafia, Zainab, et Rona Amir Mohammad auraient été menacées de mort «pour des raisons sociales, culturelles et familiales».

La police de Kingston en dit peu

Les enquêteurs de Kingston n'ont confirmé aucun détail de l'enquête, hier, lors d'une conférence de presse organisée dans leur quartier général. Pour ne pas «nuire au processus judiciaire», la police n'a révélé aucune des preuves qu'elle détient contre les accusés, ni même les résultats de l'autopsie des victimes.

La police de Kingston a toutefois confirmé qu'un ou plusieurs des coaccusés prévoyaient quitter le Canada avant leur arrestation, mardi à Montréal. «Nous avons des informations à l'effet qu'au moins l'un des coaccusés planifiait de voyager dans un autre pays dans un avenir proche», a déclaré l'inspecteur Brian Begbie.

Selon nos informations, le fils aîné, Hamed Mohammad Shafia, projetait de retourner vivre à Dubaï, là où la famille avait vécu pendant 15 ans avant de s'installer à Saint-Léonard. Contrairement à ses soeurs, Hamed aurait toujours eu de la difficulté à s'intégrer au Canada.

La police a également confirmé que Rona Amir Mohammad n'était pas la tante des enfants, comme la famille Shafia l'avait prétendu au lendemain du drame. Elle est plutôt la première femme de Mohammad Shafia, une femme stérile avec qui M. Shafia n'a eu aucun enfant.

Les autorités ontariennes ont également nié la version avancée par la famille pour expliquer l'incident. Mohammad Shafia avait déclaré, au lendemain du drame, que sa fille de 19 ans avait probablement emprunté la voiture tôt le matin pour s'exercer à conduire, bien qu'elle ne possédait pas de permis.

«À ce jour, notre enquête démontre que cette allégation est fausse, et que, cette nuit-là, la voiture était conduite par un ou plusieurs accusés», a déclaré l'inspecteur Begbie. Il a par ailleurs précisé que les quatre cadavres reposaient dans l'eau depuis moins de 12 heures.

Comparution difficile

Peu après la conférence de presse, les trois accusés ont comparu au palais de justice de Kingston. Ils sont passés dans le box l'un après l'autre, menottes aux poings, et accompagnés d'un interprète qui traduisait les directives de la juge.

Mouchoir en main, Tooba Yahya Mohammad essuyait ses larmes en entendant qu'elle ne pourra plus avoir de contact direct avec ses trois autres enfants, âgés de 8, 14 et 16 ans. Ceux-ci ont été confiés aux autorités montréalaises la veille de son arrestation.

Les trois accusés seront de retour devant les tribunaux le 6 août prochain pour connaître la date du début de l'enquête préliminaire. D'ici là, la juge les empêche d'avoir tout contact direct entre eux.

Au terme de l'audience, hier, une proche de la famille s'est portée à la défense des accusés. Zarmina Fazel, la tante de Tooba Yahya Mohammad, a affirmé qu'il était «impossible» que le couple ait assassiné ses propres enfants.

«Ils aimaient tellement leurs filles, a-t-elle assuré. Les parents ne parlent ni anglais, ni français. Comment ont-ils pu se faire comprendre des policiers?» a-t-elle demandé, assurant qu'il n'avait jamais été question que les accusés quittent le Canada pour fuir la justice.