Après six ans de feuilleton juridique, le Montréalais Adil Charkaoui, visé par un certificat de sécurité, a retrouvé sa liberté complète vendredi après-midi. À grands coups de ciseaux, il s'est débarrassé du dernier dispositif qui le reliait aux autorités canadiennes: un GPS qu'il devait porter jour et nuit.

«C'est un morceau de plastique et de métal, mais vous n'avez pas idée de ce que ça fait psychologiquement à un homme», s'est exclamé le ressortissant marocain de 36 ans, les yeux embués, sur le parvis de la Cour fédérale. Sa mère, Latifa, remerciait Dieu. Des supporteurs applaudissaient.

Quelques minutes plus tôt, la juge Danièle Tremblay-Lamer avait ordonné la levée de toutes les contraintes imposées à Adil Charkaoui depuis sa mise en liberté en février 2005. La magistrate a rendu sa décision sur le banc, expliquant qu'il n'y avait aucune raison d'enfreindre plus longtemps la liberté de M. Charkaoui. «J'ordonne que toutes les conditions de remise en liberté soient révoquées et que cette ordonnance prenne effet immédiatement», a lancé la juge alors que l'avocate de M. Charkaoui, Johanne Doyon, était au milieu de sa plaidoirie.

Mme Tremblay-Lamer a expliqué que les conditions de mise en liberté ne peuvent plus tenir puisque les ministres fédéraux qui ont émis le certificat de sécurité contre M. Charkaoui - le soupçonnant d'appartenir à Al-Qaeda - reconnaissent que ce certificat n'est plus raisonnable. Ils en sont venus à cette conclusion après avoir retiré eux-mêmes une partie de la preuve secrète qui était au dossier et que la juge leur avait demandé de rendre publique.

Retour à la normale

«Mon client va pouvoir enseigner à nouveau», s'est exclamée l'avocate de M. Charkaoui à la suite de la décision, rappelant que malgré l'allègement de ses conditions de mise en liberté au cours des ans, M. Charkaoui n'était pas libre de vivre comme bon lui semblait.

Détenu depuis son arrestation en mai 2003 jusqu'en février 2005, M. Charkaoui a été mis en liberté moyennant le respect d'une longue liste de conditions : l'imposition d'un couvre-feu, de chaperons, l'interdiction de voyager, d'utiliser l'internet ou un téléphone cellulaire. La plupart de ces conditions ont été graduellement abandonnées par la Cour fédérale, mais jusqu'à jeudi, il devait porter le GPS, aviser les autorités s'il voulait quitter Montréal, n'avait plus accès à son passeport marocain et ne pouvait pas communiquer avec un certain nombre de personnes. Son permis d'enseigner lui a aussi été retiré par la ministre de l'Éducation du Québec.

En moins de quelques heures, en rentrant chez lui à Anjou, où il a retrouvé sa femme et ses trois enfants, Adil Charkaoui a pu se débarrasser des derniers vestiges liés à ses conditions de mise en liberté. Des représentants de l'Agence des services frontaliers ont récupéré le GPS et rendu à M. Charkaoui son passeport. «Ça sera un plaisir de ne pas vous revoir!» a dit un Charkaoui plaisantin aux deux agents avant de leur offrir des biscuits.

Un obstacle en vue

Malgré sa victoire devant la Cour fédérale jeudi, Adil Charkaoui n'est pas encore tiré d'affaire. La juge Tremblay-Lamer a annoncé que le certificat de sécurité sera complètement révoqué dans les prochaines semaines, mais elle doit d'abord entendre les avocats du gouvernement à huis clos le 30 septembre. Ces derniers veulent porter en appel l'ordonnance de la juge qui les a obligés à divulguer des informations secrètes. «Les ministres ne veulent pas retirer le certificat», a dit un des avocats du gouvernement.

Adil Charkaoui avait, lui aussi, une requête à présenter à la Cour fédérale. Il aimerait que la juge reconnaisse que toute la procédure intentée contre lui a violé ses droits à répétition. «Je suis content d'être libre, mais il manque encore quelque chose. Ceux qui sont responsables pour ce qui m'est arrivé doivent répondre de leurs actes. Je veux des excuses. Je veux laver ma réputation», a dit M. Charkaoui à La Presse. Assis dans son salon, il savourait sa victoire, mais a confessé que si une lutte est terminée, une autre commence.