L'évêque de Nouvelle-Écosse en cavale, qui faisait l'objet d'un mandat d'arrêt pour possession et importation de matériel de pornographie infantile, s'est rendu à la police hier et a comparu au palais de justice d'Ottawa. Tristement habituée à composer avec des allégations de crimes sexuels dans ses rangs, l'Église a réagi promptement.

Les malheurs de Raymond Lahey, âgé de 69 ans, ont débuté le 15 septembre quand des images suspectes ont été découvertes dans son ordinateur lors d'une fouille aux douanes de l'aéroport d'Ottawa.Sans rien dire des vraies raisons motivant sa décision, l'évêque Lahey a créé la surprise en annonçant, samedi, qu'il avait donné sa démission au pape Benoît XVI «pour des raisons personnelles». Il avait grand besoin, écrivait-il, d'un moment de «ressourcement».

Libéré après le versement d'une caution de 9000 dollars, M. Lahey sera de retour devant les tribunaux le 4 novembre.

Ironiquement, en août, Lahey avait avalisé un règlement offrant une compensation de 13 millions aux victimes de prêtres agresseurs de son diocèse.

En 2006, il avait envoyé une lettre aux paroissiens de son diocèse intitulée: Votre enfant et l'éducation sexuelle, invitant les parents à inculquer aux enfants «le respect de la masculinité et de la féminité» et à exposer les petits au «cadeau de la fertilité».

Au nom de l'Assemblée des évêques catholiques du Canada, Mgr James Weisgerber a déclaré hier qu'«il est important que ces graves accusations fassent l'objet d'une enquête approfondie de la part des instances judiciaires compétentes».

Disant s'adresser notamment à toutes ces personnes «qui se sentent une deuxième fois victimes», Anthony Mancini, archevêque d'Halifax, s'est dit conscient «que tout le monde est en état de choc. (...) Je n'ai pas le pouvoir de trouver une solution à ce problème, ni la capacité de guérir la douleur ou d'effacer cette tragédie», a-t-il ajouté.

Au Canada, ces dernières années, ce sont surtout les pensionnats autochtones qui ont éclaboussé les religieux. Pendant des décennies, des enfants autochtones ont été arrachés à leurs familles pour être mieux assimilés dans des pensionnats où ils sont nombreux à avoir été agressés. L'Église unie, l'Église anglicane et l'Église presbytérienne ont présenté leurs excuses. Un mea-culpa du Vatican est toujours espéré des victimes.

En Ontario, l'affaire du curé Charles Sylvestre a aussi fait grand bruit. À 82 ans, en 2006, il a commencé à purger trois ans de prison pour avoir été le prédateur, pendant quatre décennies, de 47 jeunes paroissiennes. Ce scandale a d'autant plus choqué que ses supérieurs avaient su qu'il commettait des agressions et l'avaient simplement muté dans un autre diocèse.

Gare aux raccourcis

Carolyn Sharp, professeure de théologie à l'Université Saint-Paul, à Ottawa, croit que cette nouvelle affaire est dévastatrice pour l'image de l'Église, mais tout de même moins que d'autres ayant mis en lumière la complicité tacite de la haute hiérarchie.

Elle juge cependant inapproprié de voir dans ces nouvelles accusations la preuve du caractère malsain du célibat des prêtres. «Il y aurait sans doute lieu de refaire ce débat, mais il n'y a pas ici de cause à effet. En 2008, selon Statistique Canada, il y a eu au pays 1408 infractions liées à la pornographie juvénile. Or, chaque fois qu'un membre du clergé est touché par ces infractions, ça fait grand bruit et je n'ai pas entendu dire qu'il y a eu quantité de curés sur le lot cette année-là. La pornographie juvénile, ça reste le plus souvent le fait d'hommes en couple.»

Par ailleurs, Mme Sharp attribue aux lois canadiennes le fait que l'Église canadienne ait été tout de même plus épargnée que celle des États-Unis par les scandales sexuels. «Dans les années 80, au nom de la liberté religieuse, plusieurs États n'imposaient pas aux membres du clergé de dénoncer les cas d'agressions sexuelles dont ils avaient connaissance. À l'inverse, les lois canadiennes ne prévoyaient aucune exception et cette obligation légale a toujours été très présente dans l'esprit des membres du clergé d'ici.»

Jean-Claude Ravet, rédacteur en chef de la revue jésuite Relations, croit pour sa part que cette nouvelle affaire confirme la nécessité pour l'Église de cesser «de se draper dans des prétentions de sainteté» pour plutôt convenir que ses membres sont aussi humains que qui que ce soit.

Pour le reste, M. Ravet met en garde contre les dangers de généralisation. «Ce n'est pas parce qu'un évêque est sous le coup de telles accusations qu'il faut soupçonner tous les évêques.»