L'ambassadeur du Vatican au Canada, Mgr Luigi Ventura, a tenté jusqu'à la dernière minute de maintenir un voile de silence sur le scandale impliquant l'évêque Raymond Lahey, accusé de possession et d'importation de pornographie infantile, s'insurge l'Association des victimes de prêtres du Québec.

Une semaine après l'arrestation de Mgr Lahey, le pape Benoît XVI a annoncé que Mgr Ventura quittait le Canada pour la France. À Ottawa, la nonciature apostolique, nom officiel de l'ambassade du Vatican, dit qu'il n'y a aucun rapport entre ces deux faits. «Une chose est sûre : Mgr Ventura part dans la controverse, et j'espère que celle-ci le suivra en France», affirme France Bédard, fondatrice de l'Association des victimes de prêtres.

Mme Bédard a transmis une chronologie des événements à La Presse, qui l'a ensuite validée.

Le 15 septembre, Mgr Lahey, évêque du diocèse d'Antigonish en Nouvelle-Écosse, est revenu des États-Unis et a débarqué à l'aéroport d'Ottawa. Un douanier a trouvé des images de garçons âgés de 8 à 10 ans dans son ordinateur portable. Celui-ci et d'autres objets ont été saisis. L'évêque a été arrêté, puis libéré en attendant les résultats de l'enquête.

«Il a annoncé à la nonciature apostolique (à Ottawa) qu'il voulait démissionner immédiatement après son arrestation à l'aéroport», a indiqué la nonciature dans un courriel à La Presse. Mgr Lahey a-t-il dit pourquoi il voulait démissionner ? «Il est très logique qu'il ait donné les motivations pour lesquelles il venait d'être arrêté, et pour lesquelles le pape a immédiatement accepté sa démission», a répondu la nonciature.

Or, la nonciature n'en a rien dit à personne pendant plusieurs jours, même pas à la Conférence des évêques catholiques canadiens (CECC). «C'était à Mgr Lahey de décider d'informer ou non ses collègues», a-t-elle dit, en précisant qu'elle n'a pas d'autorité sur la CECC.

Une semaine plus tard, soit le 22 septembre, le pape a annoncé que Mgr Ventura, qui avait nommé Mgr Lahey évêque à Antigonish en 2003, quittait le Canada pour devenir nonce apostolique en France. La procédure de transfert avait commencé quatre mois plus tôt, a assuré son bureau à Ottawa.

Le 25 septembre, après une enquête menée par la police d'Ottawa, des accusations de possession et d'importation de matériel de pornographie infantile ont été déposées contre Mgr Lahey. Le lendemain, le 26 septembre, la CECC a publié un communiqué dans lequel elle a indiqué de façon laconique que «le Saint-Père a accepté la démission de Mgr Raymond J. Lahey pour des raisons personnelles». Mais elle ignorait toujours quelles étaient ces raisons personnelles, le nonce apostolique ne lui ayant pas confié qu'il avait été arrêté.

«La CECC n'a été informée des accusations qui pèsent contre Mgr Lahey que le mercredi 30 septembre, à 14h30, par un journaliste de CBC Television, a indiqué Gérard Baril, du service des communications de la CECC, dans un courriel envoyé à La Presse. Les "motifs personnels" qui ont amené Mgr Lahey à présenter sa démission au pape Benoît XVI nous étaient tout à fait inconnus. Les évêques ne relèvent pas de l'autorité de la Conférence épiscopale, mais du pape. Cela explique que Mgr Lahey n'était pas tenu d'informer la CECC des raisons pour lesquelles il avait demandé à être relevé de sa charge épiscopale.»

«Deux semaines après avoir été informé que Mgr Lahey avait été arrêté à l'aéroport, l'ambassadeur du Vatican à Ottawa n'en avait même pas informé les évêques canadiens, a dit Mme Bédard. Qu'espérait-il ? Qu'il ne soit pas accusé ? Ces cachotteries n'ont rien d'étonnant : elles sont la règle. Le Vatican a même déjà menacé d'excommunier les membres du clergé qui dénoncent l'existence de crimes sexuels dans l'Église.»

«Avant d'être nommé évêque d'Antigonish par le nonce apostolique Luigi Ventura, Mgr Lahey avait été évêque à Terre-Neuve, rappelle Mme Bédard. L'archevêché de Saint-Jean (de Terre-Neuve) a admis qu'il était au courant depuis des années des allégations faites contre Lahey par une victime d'agressions sexuelles à l'orphelinat de Mount Cashel. Cette victime affirme avoir été bouleversée en 1985, quand il était jeune garçon, en voyant la pornographie qui se trouvait chez Lahey, alors simple curé. Cela ne l'a pas empêché de devenir évêque, d'abord à Terre-Neuve, puis en Nouvelle-Écosse.»

Mme Bédard souligne que The Observer, un quotidien britannique, a publié un document confidentiel provenant des archives du Vatican qui avait été envoyé aux évêques du monde entier en 1962, et les menaçant d'excommunication s'ils révélaient des allégations d'agressions sexuelles. Le document de 69 pages, écrit en latin, a été authentifié par l'Église catholique romaine d'Angleterre et de Galles. La nonciature apostolique à Ottawa affirme que le nouveau code de droit canon, adopté en 1987, a aboli toutes les lois et les dispositions antécédentes, y compris cette directive.

«L'Église cultive l'aveuglement volontaire, ajoute Mme Bédard, qui a elle-même été violée par un abbé lorsqu'elle était mineure et qui poursuit l'Archevêché de Québec pour obtenir un dédommagement. J'ai transmis nos informations sur Mgr Luigi Ventura aux associations de victimes de prêtres en France, afin qu'on sache là-bas comment il a pratiqué l'omerta au Canada.»