Le procès d'une mère de huit enfants soupçonnée d'avoir infligé des mauvais traitements à la majorité d'entre eux pendant une dizaine d'années ressemble à une version moderne du film Aurore l'enfant martyre.

«Elle nous traitait comme des esclaves», a témoigné, hier, l'une de ses filles, aujourd'hui âgée de 17 ans, à l'ouverture du procès au palais de justice de Montréal. Sa mère aurait essayé de la noyer au parc Bellerive il y a trois ans, selon la preuve de la Couronne. C'est à la suite de cet incident que l'adolescente a brisé le silence.

La femme de 44 ans fait face à 14 chefs d'accusation de voies de fait, voies de fait graves et menaces de mort. En 2007, elle vivait dans un logement du quartier Hochelaga-Maisonneuve avec six de ses huit enfants. Les deux plus vieux ont quitté le nid familial très jeunes; le premier à l'âge de 16 ans et la seconde, à 18 ans. Ils sont aujourd'hui âgés de 5 à 24 ans.

Une ordonnance de non-publication interdit aux médias d'identifier l'accusée et ses enfants.

La mère de famille frappait au moins l'un de ses enfants chaque jour, selon l'adolescente de 17 ans. Seuls les deux plus jeunes ont été épargnés. Les premières années, c'était à coups de règle, de «guenilles mouillées» et de ceinture. Quand les jeunes ont grandi, la mère aurait remplacé ces objets par des bâtons de hockey, selon le témoignage de la victime fait aux policiers il y a trois ans et visionné en cour, hier. Les jeunes allaient à l'école avec des ecchymoses sur les bras et les jambes. «Au primaire, la DPJ venait nous poser des questions, mais on disait qu'il ne se passait rien à la maison. On avait peur», a-t-elle expliqué à l'époque avec aplomb.

La mère de famille consomme régulièrement de la marijuana et de l'alcool, selon sa fille. Lorsqu'elle était en crise, elle pouvait forcer son adolescente à manquer l'école pour s'occuper des bébés et faire le ménage. Elle a déjà jeté leurs vêtements aux poubelles pour les «punir».

Dans l'eau du fleuve

Le 16 juin 2007, un incident lors d'une sortie familiale au parc Bellerive a convaincu la victime de porter plainte. La mère de famille buvait de la bière avec l'un de ses amis, pendant que les jeunes jouaient près de l'eau. Vers la fin de l'après-midi, à la recherche de son sac de pot, la mère a accusé son adolescente de 14 ans de l'avoir volé. Elle lui a alors tiré les cheveux pour la forcer à s'agenouiller sur la grève et la fouiller. Puis, elle lui aurait mis la tête sous l'eau. «Je pensais que j'allais mourir», a raconté la victime.

L'un de ses jeunes frères criait de la libérer. La mère a fini par le faire. L'ado s'est ensuite réfugiée chez sa grand-mère, à 30 minutes de marche du parc, pieds nus sur le bitume.

En contre-interrogatoire, l'avocate de la défense, Me Mary Raposo, lui a demandé pourquoi elle n'avait pas porté plainte plus tôt. «Ma mère nous disait tout le temps que ça allait être pire si ont était placés par la DPJ, qu'on se ferait violer, pis abandonner dehors en plein hiver», a répondu l'adolescente.

La jeune fille a tenu à préciser qu'elle aimait sa mère. «Avant de la revoir, j'aimerais ça qu'elle suive une thérapie», a-t-elle dit. La jeune fille s'est mise à pleurer en racontant qu'à force de se faire traiter de «chienne», «vache», «salope» et «pute», elle avait songé au suicide.

En fin de journée, hier, sa soeur aînée a décrit à son tour une série de mauvais traitements. Il y avait beaucoup de similitudes entre les deux témoignages. À ses 16 ans, l'aînée de la famille a reçu un coup si fort qu'elle a eu le pied brisé. Un jour, sa mère lui a brûlé le mollet avec sa cigarette. À ses 18 ans, elle a reçu un coup de poing au visage en guise de «cadeau de fête», a raconté la jeune femme, âgée aujourd'hui de 24 ans.

L'accusée est en liberté au cours du processus judiciaire. Le procès qui se déroule devant le juge Jean Falardeau se poursuit aujourd'hui. Il doit durer six jours.