C'était le vendredi 15 janvier et il était près de 17h. Réal Lemieux buvait une bière dans le hamac installé devant sa chambre d'hôtel, qui donnait directement sur la plage. Un jeune homme aux cheveux clairs était assis à côté de lui, une bière à la main.

Maria Nightingale, une Vancouvéroise qui louait la chambre adjacente, se souvient parfaitement de la scène. Du sourire de son voisin. Des yeux absents de son ami, qui lui a semblé sous l'effet de la drogue. «Aujourd'hui, c'est à mon tour de faire la fête» a lancé M. Lemieux à Mme Nightingale, en levant sa bouteille au ciel.

Réal Lemieux, bibliothécaire retraité de l'École des hautes études commerciales, ne le savait pas, mais il vivait alors ses dernières heures. Le lendemain, vers 15h, la conjointe du gérant de l'hôtel a retrouvé son corps tuméfié sur le sol de sa chambre.

Le quotidien régional a relaté en détail l'assassinat, allant même jusqu'à publier les photos de son cadavre. À Zipolite, village touristique de l'État d'Oaxaca, dans le sud du pays, tout le monde connaît l'histoire du «Canadien». Pendant ce temps, au Québec, l'affaire est passée sous silence.

Réal Lemieux, 71 ans, a été trouvé nu, recouvert d'un couvre-lit. Ses mains et ses pieds étaient attachés avec des lanières de drap déchiré. Il avait été frappé au visage à plusieurs reprises puis étranglé avec le reste du drap.

L'autopsie a révélé que le meurtre avait été commis entre vendredi soir et samedi matin. L'homme que Maria Nightingale a aperçu demeure le principal suspect dans cette affaire (voir autre texte).

«Je ne l'avais jamais vu et je ne l'ai jamais revu depuis», a dit Mme Nightingale, que La Presse a rencontrée à Zipolite la semaine dernière.

Après avoir salué Réal Lemieux, elle est entrée dans sa chambre, a-t-elle relaté. Elle louait la chambre 8 du Plaza Zipolite, petit hôtel bon marché peint en vert. Le Montréalais occupait la 9, la seule qui offre un accès direct à la plage.

Photo: Catherine Handfield, La Presse

L'hôtel avec vue sur le Pacifique où logeait Réal Lemieux.

Quelques minutes plus tard, Maria Nightingale a entendu un cri provenant de la chambre de la victime. «C'était un cri d'étonnement, comme s'il s'amusait», a dit la femme de 51 ans.

Elle a ensuite quitté l'hôtel pour se rendre à une fête qui se déroulait au village voisin. Réal Lemieux et l'homme aux cheveux clairs n'étaient plus sur la terrasse.

Vol et fréquentations

Près de quatre mois plus tard, la police mexicaine n'a toujours pas résolu l'assassinat et ne peut identifier avec certitude le mobile du crime.

La chambre de la victime était sens dessus dessous à l'arrivée des policiers. Son ordinateur portatif et son appareil photo n'ont jamais été retrouvés. La famille affirme que son iPod a également disparu. Selon le rapport de police, les enquêteurs auraient toutefois retrouvé dans la chambre deux cartes de crédit ainsi qu'une petite sacoche, qui contenait 15$.

Est-ce un vol qui a mal tourné? «C'est une possibilité», a avancé Octavio Bibiano Billalva, commandant de la police ministérielle du poste de Puerto Angel, à trois kilomètres de Zipolite.

Victor Alonso Altamirano, le procureur de la justice de la côte de Oaxaca, préconise toutefois une autre thèse. «Nous pensons que l'assassin était une fréquentation de la victime», a-t-il dit.

Réal Lemieux, qui passait ses hivers à Zipolite depuis environ cinq ans, était réputé être un homme discret et cultivé. Il aimait marcher sur la plage, lire dans son hamac et prendre quelques verres le soir venu.

Le septuagénaire de Westmount était souvent vu en compagnie de différents jeunes hommes, ont indiqué sa voisine de palier et des employés d'un hôtel où il a résidé. Selon un ami de la victime, il s'agissait essentiellement de voyageurs rencontrés sur la plage.

L'enquête en cours semble confirmer cette observation. Les policiers ont saisi une clé USB dans la chambre d'hôtel de la victime. Elle contenait notamment des photos de sept jeunes hommes photographiés à Zipolite lors des deux hivers précédents.

Certains d'entre eux ont été photographiés nus sur la playa del amor - la plage nudiste de Zipolite - ou sur le balcon d'une chambre d'hôtel du village, a précisé le commandant Octavio Bibiano Billalva. Les hommes semblaient être des Latino-Américains âgés d'environ 20 à 25 ans.

Les autorités mexicaines présument que Réal Lemieux avait l'habitude de photographier ses fréquentations. «Nous pensons donc que l'assassin a volé l'ordinateur et l'appareil photo pour s'emparer des preuves», a indiqué le procureur Altamirano.

Les enquêteurs évoquent divers mobiles possibles, dont un crime passionnel, une vengeance ou une mauvaise rencontre. Ils n'écartent pas la thèse que l'auteur du meurtre ait fait boire la victime pour la rendre vulnérable. Son alcoolémie était de 0,12% lors de l'autopsie.

Un vol, selon la famille

La famille de Réal Lemieux réfute les hypothèses des enquêteurs mexicains, à qui elle accorde peu de crédibilité. Pour elle, un seul mobile est plausible: le vol.

Son fils unique, Éric Lemieux, déplore que la justice mexicaine établisse un lien entre l'assassinat et les fréquentations gaies de son père. «Ce sont des préjugés sans fondement et basés sur des valeurs homophobes», a-t-il dit.

Selon lui, les autorités mexicaines ont un but précis: protéger la réputation de leur pays et blâmer la victime. «On insinue qu'il a couru après et qu'il le méritait, a-t-il déploré. C'est sûr qu'elles ne diront jamais qu'un touriste s'est fait attaquer sans raison.»

À son avis, les faits accréditent la thèse du vol. La plage de Zipolite est publique, a-t-il rappelé. Son père allait souvent sur son balcon avec son ordinateur portatif, au vu et au su de tous.

Éric Lemieux pense que l'assassin a battu et attaché la victime pour savoir où était son argent (les chèques de voyage étaient dans le coffre-fort de la réception). Selon lui, le voleur l'a tué parce qu'il s'était fait reconnaître.

«C'est peut-être un vol, mais en même temps, on dirait qu'il y a plus», a dit un ami de Réal Lemieux, un Québécois qui passe ses hivers à Zipolite.

Selon lui, la victime n'avait pas d'ennemi au village ni de conflit avec quiconque. Accoudé à une table, l'homme fait une pause. «La seule autre option que je vois, c'est un crime haineux.»

«Réal ne cachait pas qu'il était gai et qu'il aimait fréquenter des hommes plus jeunes que lui, a-t-il poursuivi. Zipolite est un village ouvert, mais il reste que le Mexique demeure un pays très homophobe.»

Photo: Catherine Handfield, La Presse

Le commandant Octavio Bibiano Clavel