Les jeunes Noirs risquent 4,2 fois plus que les autres d'être interpellés par les policiers de Montréal. Beaucoup de jeunes des communautés culturelles d'à peine 16 ans, qui ne parlent pas bien le français, aboutissent à l'éducation des adultes faute d'aide adéquate. Et les minorités cherchent toujours leur place au Québec.

Au cours de la première journée de ses audiences sur le profilage racial, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a entendu mercredi huit témoins. Experts et intervenants sont venus dénoncer sur le même ton les injustices que subissent ceux qu'on appelle les groupes «racisés» - Noirs, autochtones, Latino-Américains et personnes d'origine arabe ou de religion musulmane.Le profilage racial, a expliqué d'entrée de jeu le président de la commission, Gaétan Cousineau, a des conséquences «graves» pour la victime et, de façon plus générale, pour la société. La Commission a été saisie d'une centaine de plaintes pour profilage racial, un chiffre qu'on considère bien en deçà de la réalité.

Chercheuse à l'Université du Québec à Montréal, Maryse Potvin en a donné une illustration en révélant les résultats d'une étude sur le cheminement scolaire des jeunes immigrés. À partir d'une cinquantaine de cas, elle a relevé un phénomène troublant qui aurait pris de l'ampleur depuis une dizaine d'années: de plus en plus de jeunes de 16 ans en difficulté d'apprentissage, issus de la première ou de la deuxième génération d'immigrés, sont envoyés à l'éducation des adultes. Incapables de suivre les cours - on leur offre une autoformation avec cahiers, sans cours magistraux -, nombre de ces jeunes se dirigeront vers le secteur anglophone.

«Il y a là une déperdition, estime la chercheuse. C'est un phénomène très peu documenté et il y a peu de statistiques. Ce ne sont pas des décrocheurs, ils sont envoyés directement du secondaire à l'éducation des adultes.» Elle a tout de même constaté que les jeunes issus de l'immigration représentent 36% des élèves en difficulté d'apprentissage envoyés à l'éducation des adultes.

«Sur-surveillance»

Dans une étude publiée ce printemps, Christopher McAll, professeur à l'Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS), s'est quant à lui penché sur 1518 dossiers de jeunes de 12 à 18 ans poursuivis devant le Tribunal de la jeunesse en 2001. Il a notamment eu accès aux rapports des policiers et établi que les Noirs risquent 4,2 fois plus d'être interpellés, et deux fois plus d'être arrêtés.

La police les arrête souvent après les avoir surveillés, une tactique à laquelle on a moins souvent recours quand il s'agit de jeunes Blancs. Sa conclusion générale: «Il y a une apparence de sur-surveillance des jeunes Noirs.» Pour des comportements semblables, le policier a tendance à passer l'éponge plus souvent pour un Blanc que pour un Noir, croit le chercheur. «Un jeune Noir n'a pas intérêt à fumer un joint sur la place publique. Mais je vois tous les jours de jeunes Blancs qui le font, et ils ne sont jamais inquiétés.»

Le chercheur estime que ce traitement «différentiel» est illégal et a un potentiel explosif, comparable à ce qui a mené à l'embrasement des banlieues françaises en novembre 2005. «La criminalisation d'une population exclue fait partie de l'histoire du racisme. On trouve cette attitude vis-à-vis des Noirs et des autochtones, qu'on présente comme étant prédisposés au crime. C'est classique. Il y a eu un point de rupture dans les banlieues françaises. C'est un point de non-retour. On n'en est pas là, mais on est sur cette voie.»

La consultation sur le profilage racial se poursuivra aujourd'hui, à la Grande Bibliothèque, avec une dizaine de témoins. Une vingtaine de personnes du public assistent aux travaux. Les activités reprendront la semaine prochaine à Québec, pour revenir à Montréal le 9 juin. On attend notamment ce jour-là une présentation commune de la Ville de Montréal, de son service de police et de la Société de transport.

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Qu'est-ce que le profilage racial?

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse définit le profilage racial comme «toute action prise par une ou des personnes en situation d'autorité à l'égard d'une personne ou d'un groupe» dont la justification repose essentiellement sur «la race, la couleur, l'origine ethnique ou nationale ou la religion». Cette intervention, qui peut être celle d'un policier, d'un enseignant, d'un serveur, est faite «sans motif réel ou soupçon raisonnable» et a pour effet «d'exposer la personne à un examen ou à un traitement différent». Les exemples classiques: demander leurs papiers à un groupe de jeunes Noirs pour un motif anodin, par exemple parce que l'un d'eux a craché par terre, ou interpeller un automobiliste noir simplement parce qu'il conduit une voiture luxueuse.