Les guerres aux gangs de rue et aux incivilités que mène la police de Montréal depuis 2003 sont de véritables « portes ouvertes au profilage racial », selon la Ligue des droits et libertés, qui demande une révision complète de ces priorités.

En audience ce matin devant la Commission des droits de la personne, des porte-parole de la Ligue se sont dits inquiets du pouvoir arbitraire des policiers et du flou entourant ces priorités du Service de police de la Ville de Montréal. La lutte aux gangs de rue, a expliqué Nicole Filion, est une priorité policière année après année alors qu'à peine 1,6% des actes criminels sont reliés à ces gangs.

«Ça a engendré une grande méfiance de la police à l'égard des jeunes de certaines communautés ethnoculturelles, estime la porte-parole. La définition de gang de rue est d'un flou total, mais on vise un large éventail de jeunes.» Prenant en exemple la situation dans Montréal-Nord, elle rappelle que la plupart des intervenants sociaux ont dénoncé l'escouade Eclipse, chargée de la lutte aux gangs de rue dans ce secteur. «Ils ont dit que depuis son instauration, la situation s'est dégradée. Le Ministère doit faire un bilan de cette politique, dans laquelle on a tout de même investi 17,6 millions.»

Mission impossible

La ligue est encore plus sévère à l'égard de la lutte aux incivilités de toutes sortes -des rassemblements un peu trop bruyants aux jeux de hasard sur la voie publique en passant par le flânage. «Il faut carrément examiner l'existence même de ces règlements, estime Philippe Robert de Massy, avocat et militant de la Ligue des droits. Sont-ils tous nécessaires? Ce sont souvent des occasions de cibler certains citoyens, et le danger est grand que ce soient toujours les mêmes groupes qui sont ciblés.»

L'avocat s'interroge sur l'inflexibilité que certains policiers vont montrer devant des groupes de jeunes qui vont hériter de «contraventions qu'ils n'auront jamais les moyens de payer». «Quand on a affaire à des jeunes, il y a un principe d'éducation qu'on doit appliquer. Le rôle de la police, c'est de protéger l'ensemble des citoyens; or, on a l'impression que certains citoyens ne sont pas protégés et ça, ça nuit à la crédibilité de la police.»

Il estime qu'une «certaine culture policière à Montréal» a fait en sorte que la police s'est graduellement éloignée de la population. «Les jeunes connaissent leurs droits, ils ont raison d'être fâchés. Ça explique les événements qui ont suivi la mort de Fredy Villanueva, en août 2008. Il y a un problème grandissant, une distance entre la police et la population et il va falloir un examen très sérieux de la part des policiers.»

Ces luttes préventives reflètent une vision irréaliste du travail policier, croit Me De Massy: prévenir les actes criminels avant même qu'ils ne se produisent, «c'est impossible. On ne peut pas prédire les actes criminels, on va toujours tomber dans les stéréotypes. C'est un mandat qui se fera toujours au détriment de certains groupes.»

Les audiences de la commission des droits de la personne sur le profilage racial se déroulent pendant cinq jours à la Grande bibliothèque, au centre-ville de Montréal. Après les témoignages prévus aujourd'hui, la consultation se déplacera à Québec puis sera de retour dans la métropole le 9 juin prochain. Une cinquantaine de témoignages sont attendus.