Le mari de Johra Kaleki, cette femme soupçonnée d'avoir commis un «crime d'honneur», s'est porté à la défense de sa conjointe, lundi au palais de justice de Montréal. «Je vous en prie, monsieur, ma femme est innocente», a lancé Ebrahim Ebrahimi au juge, alors que la mère de 38 ans sanglotait debout dans le box des accusés.

Johra Kaleki a été accusée de tentative de meurtre sur sa fille de 19 ans, de voies de fait graves et de voies de fait armées. Les enquêteurs privilégient la thèse du «crime d'honneur».La mère de famille, d'origine afghane, aurait agressé sa fille à l'arme blanche dimanche matin dans leur résidence de l'arrondissement de Dorval après que cette dernière ne fut pas rentrée dormir à la maison, selon une information que la police n'a pas confirmée. La victime a été blessée à la tête, au visage, aux épaules et à un bras. L'accusée a elle aussi dû être soignée pour une blessure au bras. Lorsque la mère s'est présentée en cour, elle portait toujours un bandage.

Évaluation psychiatrique

L'accusée devra subir une évaluation psychiatrique à l'Institut Philippe-Pinel d'ici à 30 jours pour déterminer son état d'esprit au moment des faits et son aptitude à avoir un procès. Mme Kaleki est une femme «équilibrée» qui a «perdu le contrôle» le matin de l'agression, a dit son avocat, Me Tom Pentefountas. «Elle était alors hystérique», a-t-il souligné au juge Serge Boisvert.

Son mari et les trois soeurs de la victime, âgées de 10, 14 et 16 ans, étaient présents dans la résidence au moment du drame. Les trois jeunes filles ont été confiées à la Direction de la protection de la jeunesse.

Tony, voisin des Kaleki, qui habitent un duplex dans une paisible rue en croissant de Dorval, se souvient d'une rencontre quelques heures avant le drame.

«Je suis rentré chez nous à environ 2h30 du matin. En sortant de ma voiture, j'ai vu le père dans la rue, ce qui m'a semblé inhabituel. J'imagine qu'il cherchait sa fille. Malgré tout, il m'a salué poliment. Toute la famille était comme ça. Ils étaient très courtois, mais aussi très réservés», a-t-il raconté en anglais.

L'adolescente de 19 ans ne semblait pas rebelle, selon ce voisin. «Elle s'habillait assez sobrement, elle ne semblait pas être une fille qui fait la fête.» Il a indiqué qu'au-delà de leur courtoisie, les Kaleki ne fraternisaient pas beaucoup avec le voisinage. «On voit parfois leurs filles jouer au soccer dehors, mais elles jouent ensemble. On ne voit pas vraiment de visiteurs entrer chez eux.»

Crime d'honneur?

«Il est possible que ce soit un crime d'honneur», a indiqué lundi le porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal, Olivier Lapointe. La procureure de la Couronne, Me Anne Gauvin, a insisté sur le fait qu'elle avait en main les preuves «testimoniales et matérielles» nécessaires pour étayer sa thèse dans un éventuel procès, sans vouloir préciser de quelle thèse il s'agissait.

Les crimes dits d'honneur sont une pratique ancienne consacrée par la culture plutôt que par la religion, enracinée dans un code complexe qui permet à un homme de tuer ou maltraiter une femme de sa famille ou sa partenaire pour cause de «comportement immoral» réel ou supposé, selon Amnistie internationale.

«La majorité des crimes d'honneur sont commis par un homme de la famille - père, frère, cousin, oncle -, mais ce n'est pas exceptionnel de voir une femme actrice ou complice de ce crime», explique la porte-parole de l'organisme au Québec, Anne Sainte-Marie, sans vouloir commenter ce cas particulier. Plus de 5000 cas de crimes d'honneur sont répertoriés chaque année dans le monde, notamment en Afghanistan.

L'accusée retournera en cour le 12 juillet. D'ici là, le juge Boisvert lui a interdit d'entrer en contact avec ses enfants. La Couronne aurait préféré qu'elle ne puisse pas communiquer avec son mari non plus, puisqu'il est un témoin important de l'affaire. Or, le magistrat a refusé la suggestion de la poursuite.

Cette histoire n'est pas sans rappeler celle de la famille Shafia, ces trois Montréalais d'origine afghane soupçonnés d'avoir commis un «crime d'honneur». Le père, la mère et le fils sont accusés d'avoir tué quatre femmes de leur famille à l'été 2009 dans l'écluse de Kingston Mills à environ 300 km de Montréal.

Avec la collaboration de Paul Journet