Accusé du meurtre prémédité de son épouse, Jacques Delisle, juge de la Cour d'appel à la retraite, a obtenu sa liberté ce matin, au terme de son enquête sous cautionnement, qui se tenait au palais de justice de Québec.

La Couronne n'a fait entendre qu'un seul témoin: Simon Chouinard, enquêteur à la Sûreté municipale de Québec, qui est venu résumer les faits entourant la mort de Marie-Nicole Rainville, survenue le 12 novembre dernier à Québec, dans le condo que le couple occupait. En contrepartie, c'est nul autre que Me Pierre Cimon, procureur-chef démissionnaire de la Commission Bastarache (sur le processus de nomination des juges), qui s'est porté garant de l'accusé, avec la fille de celui-ci, Hélène Delisle, avocate elle aussi. À la demande de Me Jacques Larochelle, avocat de l'accusé, ces deux témoins se sont engagés à hauteur de 50 000 $ chacun, pour les besoins de la caution. M. Delisle, qui a brièvement témoigné, s'est quant à lui engagé personnellement pour 100 000 $.  M. Cimon connaît M. Delisle depuis la fin des années 60, puisqu'à l'époque, ils ont pratiqué dans le même cabinet d'avocats.

La procureure de la Couronne Lyne Morais n'a pas posé de question aux deux témoins de la défense, ni à l'accusé d'ailleurs. Et elle n'a pas plaidé quand est venu le temps de débattre de la nécessité ou non de garder l'accusé derrière les barreaux, pour la suite des procédures judiciaires. «On s'en remet à votre décision», a-t-elle dit. Le juge Claude Gagnon a indiqué dès ce moment qu'il accordait la liberté à M. Delisle, puisque selon lui, l'ex-juge remplissait les trois conditions, soit: s'assurer qu'il se représentera devant le tribunal pour la suite des procédures, qu'il ne constitue pas une menace, et que sa libération ne mine pas la confiance du public dans le système judiciaire. Le magistrat a rendu sa décision séance tenante, mais il a signalé que ses motifs écrits suivraient dans quelques jours.

Au sujet du troisième motif, le juge Gagnon a tout de même cité en exemple un jugement rendu par le juge James Brunton, de la Cour supérieure, que la Cour d'appel a confirmé il y a quelques semaines. Dans cette affaire, d'anciens membres des Hells Angels accusés de plusieurs meurtres, complots et trafic de stupéfiants, ont pu retrouver leur liberté en attendant leur procès. Si le public n'a pas été choqué par ces libérations, le magistrat ne pouvait voir comment la libération de M. Delisle pourrait choquer le public.

Sans menottes

L'exercice s'est tenu dans la grande salle du palais de justice de Québec, où l'on dénombrait de nombreux sièges vides dans l'assistance. M. Delisle est entré très droit dans le box vitré des accusés. Il était vêtu d'un complet gris, d'une chemise blanche, et d'une cravate, et ne portait pas de menottes. Il portait une montre à un poignet. Une fois assis, il s'est mis à se bercer doucement sur son siège. Il n'est pas resté longtemps dans le box. Comme il avait du mal à entendre, le juge lui a permis d'aller s'asseoir aux côtés de ses avocats. Plus tard, quand il a commencé son bref témoignage, et que la greffière lui a demandé son âge, M. Delisle a répondu en blaguant: «si j'avais su qu'on me demanderait mon âge, j'aurais demandé un huis-clos».

Au début de l'audience, le juge Gagnon a tenu à faire une mise au point, pour démontrer son impartialité. Il a expliqué que pendant ses 29 ans de pratique du droit, il n'avait pas eu à côtoyer ou à discuter avec le juge Delisle. Il n'a dénombré aucun événement social où ils se sont croisés. «Je me sens tout à fait à l'aise d'entendre cette requête», a conclu le magistrat. Au terme de l'audience, le juge a pris le chemin des cellules, en attendant sa libération, dans la journée.

Rappelons enfin qu'une ordonnance de non publication nous interdit de dévoiler la preuve révélée lors de l'enquête sous cautionnement.