Une vidéo montrant une adolescente de 16 ans en train de se faire violer par six ou sept garçons a surgi sur plusieurs pages Facebook cette semaine. Et elle ne cesse de réapparaître depuis, parfois accompagnée d'une série de photos brutales. Pendant que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) menace d'intenter des poursuites pour possession de pornographie juvénile, les experts s'interrogent.

L'agression a eu lieu il y a huit jours, en plein champ, près d'une maison de campagne de l'est de Vancouver, où un rave battait son plein. Cinq garçons, peut-être même six ou sept, ont brutalement violé une adolescente de 16 ans. À quelques pas, d'autres garçons photographiaient et filmaient la scène.

Le lendemain, la jeune femme avait tout oublié. Ce qui n'a pas surpris les enquêteurs puisqu'ils ont découvert qu'elle avait ingéré à son insu du rehypnol, mieux connu sous le nom de drogue du viol: une substance qui provoque l'amnésie.

L'adolescente avait tout oublié, mais les images de son agression sont quand même revenues la hanter. Deux jours après la fête, elle les a découvertes sur Facebook et s'est précipitée au poste de police.

La GRC de la Colombie-Britannique a aussitôt fait retirer les images, mais affirme qu'elles se répandent maintenant «comme un incendie de forêt». «Elles constituent de la pornographie juvénile, prévient la caporale Annie Linteau, que La Presse a jointe à Vancouver. Ceux qui la diffusent ou la regardent peuvent être poursuivis au criminel. On ne peut pas faire revivre sans arrêt son drame à la victime.»

Jeudi, les enquêteurs ont arrêté le garçon de 16 ans qui a mis les premières images en ligne sur sa page Facebook. Hier, ils ont arrêté un jeune de 18 ans qui ferait partie des agresseurs. La poursuite étudie leurs dossiers.

Comment de telles images peuvent-elles se répandre aussi vite? Plusieurs personnes sont attirées par les choses morbides, répondent les experts. Les automobilistes étirent le cou et ralentissent pour voir les accidents au bord de la route, rappellent-ils. Et les internautes ne résistent pas à la tentation de regarder des vidéos choquantes. «Pensez aux vidéos d'Al-Qaïda où l'on voyait des soldats américains en train de se faire décapiter: elles se répandent comme une traînée de poudre, même si on exerce des pressions pour limiter leur diffusion», rappelle José Fernandez, professeur au certificat en cyberenquête à l'École polytechnique de l'Université de Montréal.

«La pornographie légale montre souvent beaucoup de violence, et on trouve beaucoup d'hommes pour la consommer. Cette vidéo, plus réaliste, a pu piquer leur curiosité», avance de son côté Karine Tremblay, porte-parole du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les crimes à caractère sexuel.

Selon le sociologue Jacques Hamel, de l'observatoire Jeunes et société, l'anonymat joue aussi un grand rôle, car on peut visionner et relayer la vidéo dans le plus grand secret. «Au Québec, certains peuvent se sentir détachés, se dire qu'ils ne connaissent pas la victime, dit-il. Mais c'est horrible quand même de répercuter ça vers d'autres individus. Ce qui m'inquiète, c'est le manque de morale. Pour mettre ça sur Facebook, il ne faut pas être conscient qu'il s'agit d'un drame.»

Les jeunes sont peut-être particulièrement endurcis, craint Vincent Gautrais, qui enseigne le droit de l'internet à l'Université de Montréal.

À Calgary, par exemple, un garçon de 16 ans et une fillette de 12 ans - tous deux ivres - ont eu des relations sexuelles sur le terrain d'une école tandis que d'autres jeunes les filmaient. Les voisins les ont dénoncés avant que la vidéo ne se retrouve dans Facebook.

«Ce qui m'effraie, c'est la tolérance de plus en plus grande face à du matériel à caractère sexuel beaucoup plus explicite qu'avant, dit le professeur Gautrais. Ce n'est pas pour rien qu'on ramène les cours d'éducation sexuelle dans les écoles. Il faut dire aux jeunes que ce qu'ils voient si largement n'est pas nécessairement la norme.»

Jacques Hamel se demande si le fait d'avoir grandi avec l'internet, la téléréalité et les informations en continu n'a pas aussi brouillé les repères des jeunes. Sur Facebook, ils sont habitués de voir toutes sortes de choses très intimes exposées au grand jour, dit-il. Certaines téléréalités leur montrent des ébats sexuels presque en direct. Et les chaînes d'information les bombardent d'images-chocs.

«Les jeunes sont tellement habitués qu'ils ne savent plus faire la part des choses, dit-il. Même si ce qu'on voit ici est plus violent, c'est dans la même veine. C'est un pas de plus.»

Pour lui, c'est toute notre société qui a soif de spectaculaire. «Lors des catastrophes naturelles, on voit maintenant des gens qui filment des victimes à l'agonie au lieu de chercher à leur porter secours», observe-t-il.

Des professeurs de son université qui se sont mis en colère en classe ont eux aussi vu des étudiants se dépêcher de sortir leur téléphone pour immortaliser la scène. «Les gens ne se contentent plus d'être témoins, dit-il. Ils veulent des preuves, tout enregistrer. Aujourd'hui, on ne se contente plus des faits comme jadis, à l'époque du commérage et des médisances sur le perron de l'église.»

De la torture pour la victime

Pour la victime, les conséquences sont «inimaginables», s'indigne surtout Karine Tremblay. «Elle redevient victime un nombre incalculable de fois. Quand on sait que l'agression peut conduire certaines victimes au suicide, il faut s'inquiéter sérieusement.»

«Imaginez cette fille qui va retourner à l'école en ignorant qui a regardé ça sur Facebook, en ignorant qui a pensé qu'elle était consentante, qu'elle aurait dû mieux surveiller son verre ou que sa jupe était trop courte», poursuit-elle.

Au Québec, la moitié des victimes d'une agression attendent entre 6 et 12 ans avant de la dénoncer. «Elles ressentent une telle honte que juste se confier à une intervenante prend des années. Imaginez l'absence de contrôle que peut ressentir cette femme, dit Mme Tremblay. Elle a perdu le contrôle pendant l'agression et elle ne contrôle même pas sa vie privée.»

photo archives la presse canadienne

La GRC de la Colombie-Britannique a fait retirer les images du site Facebook, mais affirme qu'elles se répandent maintenant «comme un incendie de forêt». «Elles constituent de la pornographie juvénile», prévient la caporale Annie Linteau, que La Presse a jointe à Vancouver.

photo The Globe and Mail

L'agression a eu lieu il y a huit jours, en plein champ, près d'une maison de campagne de l'est de Vancouver. La victime avait auparavant pris part à un rave dans ce hangar.