Publier ou ne pas publier les preuves troublantes documentant les crimes scabreux commis par le colonel Russell Williams?

La question soulève la consternation - voire les conflits - au sein de plusieurs salles de presse à travers le Canada alors que les journalistes tentent de d'informer leurs lecteurs au sujet d'une histoire sensationnelle sans pour autant tomber dans les excès du sensationnalisme.

La décision du tribunal de Belleville, en Ontario, d'accorder aux médias la permission de publier une flopée de photos dérangeantes a forcé les journaux, les chaînes télévisées et les sites de nouvelles en ligne à déterminer quelle était la meilleure façon de relater et d'illustrer l'histoire sordide d'une étoile montante de l'armée canadienne dont les dérangeantes déviances sexuelles ont mené au vol, au viol et au meurtre.

Mardi, la première page de l'édition du Toronto Star illustrait de façon frappante ce tiraillement. On y voit deux photos du colonel Williams: une première où l'on aperçoit un militaire décoré en uniforme et une autre qui montre un fétichiste vêtu d'une pièce de lingerie rose volée.

Les rédacteurs du journal torontois n'ont pu en arriver à un consensus, a reconnu le directeur des communications, Bob Hepburn. Certains estimaient que cette photo était inappropriée tandis que d'autres faisaient valoir que ce cliché était essentiel pour comprendre pleinement l'homme, ce que la juxtaposition des deux images rendait possible, a expliqué M. Hepburn.

Les éditeurs étaient conscients qu'ils risquaient de susciter la controverse. Mais ils ont estimé que l'intérêt public l'emportait sur le potentiel inconfort que pourraient ressentir ses lecteurs.

«(Les rédacteurs) sentaient qu'il s'agissait d'une histoire extraordinaire et troublante, a-t-il précisé. Nous ne l'avons pas fait pour vendre plus de copies, nous ne l'avons pas fait pour délibérément déranger les lecteurs. Cela aura probablement des conséquences négatives sur notre tirage - de nombreuses personnes ont déjà appelé pour s'en plaindre -, mais nous estimons que le public a le droit de savoir quel genre de personne est Williams.»

Un débat tumultueux a éclaté dans le bureau du président de CTV News, Robert Hurst, quelques instants après que les photos eurent été rendues publiques. Le réseau télévisé a finalement décidé de montrer des photos préalablement sélectionnées dans son journal télévisé.

Du côté de CBC, où l'on avait abordé la question en prévision du procès - sans néanmoins savoir à quel point les photos s'avéreraient sordides -, une seule photo montrant le colonel Williams en sous-vêtements a été montrée. Les autres avaient été recadrées afin que les téléspectateurs puissent voir la tête et les épaules du criminel.

Car les photos présentées en cour étaient nettement plus obscènes.

La directrice de la rédaction de CBC News, Esther Enkin, estime que ce choix reflète le souhait du réseau de raconter l'histoire en optant pour une «approche minimaliste».

À l'échelle nationale, la plupart des services de nouvelles ont préféré une approche prudente, que ce soit en refusant carrément de publier les photos, comme l'a fait Yahoo Canada, ou en les publiant à des endroits moins accessibles ou visibles.

La rédactrice en chef adjointe du Globe and Mail, Sylvia Stead, a justifié le choix de la une du journal en faisant valoir que le public pouvait se faire une idée de la personnalité de Williams sans des photos si explicites.

«On impose aux lecteurs la photographie de la une, a-t-elle affirmé. En lisant l'article, ils peuvent décider de s'arrêter, mais ils ne peuvent le faire avec des photographies.»