L'immeuble situé au 620 de la rue Cathcart ressemble à bien d'autres tours à bureaux du centre-ville de Montréal. L'édifice abrite toutefois une multitude de bijoutiers, dont plusieurs ont de gros problèmes avec Revenu Québec.

Au cours des deux dernières semaines, le fisc a réclamé 25,5 millions de dollars à cinq des bijoutiers de l'immeuble, selon des documents produits en cour. La facture grimpe à 29,8 millions si l'on ajoute les démarches du fisc contre un autre locataire rendues publiques il y a trois ans et qui ne sont toujours pas réglées.

Le 620, rue Cathcart est situé au coin de la rue Union, près du Square-Phillips, en plein coeur de Montréal. L'immeuble de 10 étages est rempli de fabricants, d'importateurs et de grossistes de bijoux, a pu constater La Presse sur place.

Les entreprises de l'industrie s'y regroupent par affaires, pour y trouver des fournisseurs, tailleurs de pierre, polisseurs et autres entreprises du secteur, nous explique l'agente qui y loue des locaux. Le regroupement de plusieurs grossistes et importateurs crée une masse critique qui attire des détaillants à la recherche de bijoux pour leurs boutiques.

Les entreprises ciblées par le fisc logent entre les 4e et 7e étages de l'immeuble. Parmi elles, mentionnons Bijouterie Assad'Or (réclamations de 6,5 millions du fisc), Bijouterie Aigle d'or (3,5 millions) et l'entreprise A bijoutier (3,6 millions).

Les bijouteries n'ont pas d'actionnaires communs, selon le registre des entreprises du Québec. Toutefois, trois des six entreprises font affaire avec la même firme de consultants en comptabilité, soit Oskan Hazarabedian et associés, de Laval.

Il s'agit de Bijouterie Arzouni (réclamations de 4,7 millions du fisc), Bijouterie Mano (7,3 millions) et Bijouterie Almar (4,3 millions). Cette dernière a contesté la facture de Revenu Québec à la Cour du Québec, en 2008. La réclamation de 4,3 millions vaut pour les années 2003 à 2007 et inclut une pénalité et des intérêts totalisant 1,6 million.

Fausses factures

Selon ce que soutient Revenu Québec en cour, Almar a fourni de fausses factures pour réclamer ses remboursements de taxes sur intrants de TVQ. Ces «factures d'accommodation» auraient été réalisées avec la participation d'un soi-disant fournisseur appelé Michel Henri, à l'aide de deux de ses entreprises, écrit le fisc.

Osakan Hazarabedian n'a pas rappelé La Presse. L'homme d'affaires offre des services de comptabilité à ses clients, mais ne détient pas de titre comptable (CA, CGA ou CMA).

Ces trois mêmes bijouteries sont représentées devant le fisc par l'avocat Louis-Frédérick Côté, du cabinet Spiegel Sohmer. Joint au téléphone, l'avocat dit représenter une trentaine de clients de ce secteur depuis que Revenu Québec a lancé une offensive, il y a deux ou trois ans.

À chaque fois, dit-il, il s'agit de dossiers de «factures d'accommodation». Selon lui, les réclamations de Revenu Québec sont justifiées pour 90% des dossiers que le fisc a en litige. Me Coté ajoute toutefois que les trois clients du 620, Cathcart qu'il représente sont de bonne foi et que «les gens de bonne foi vont passer au travers, les autres vont faire faillite».

L'avocat précise qu'aux réclamations de Revenu Québec s'ajoutent celles du fédéral pour la TPS, notamment. Il faudrait donc gonfler les sommes réclamées d'environ 50%, selon nos estimations.

Propriétaires européens

L'immeuble situé au 620, rue Cathcart appartient à Samen Investments. Cette entreprise est détenue par une société du Luxembourg et administrée par deux résidants de Lugano, en Suisse italienne. Rien ne permet de lier le propriétaire aux réclamations de Revenu Québec.

Le propriétaire de Samen est l'homme d'affaires italien Achille Costamagna, selon des documents produits en cour. Samen détient trois immeubles à bureaux à Montréal, de même que des terrains dans les Laurentides, notamment à Mirabel.

Achille Costamagna fait également des affaires par l'entremise de l'entreprise Schalmarief, de Montréal. Il a des investissements en Amérique du Nord depuis 40 ans grâce à un partenariat avec un important promoteur immobilier de Montréal.

Les bijoutiers mentionnés n'ont pas rappelé La Presse ou ont été impossibles à joindre. Au moment de mettre sous presse, Revenu Québec n'avait pas formulé de commentaires.