Se disant tout à fait impartial et apte à juger selon la preuve qui lui est présentée, le juge Claude Larouche a refusé, hier matin, de se récuser dans le procès en diffamation qui oppose le grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, à Sylvain Lafrance, vice-président des services français de Radio-Canada.

«Les demandeurs ne tolèrent pas d'être contrariés. Ils veulent écarter le juge par tous les moyens possible. Ils le trouvent gênant», a notamment dit le juge en rendant sa décision.

Me James Woods, avocat principal de M. Péladeau, qui réclamait cette récusation, a immédiatement annoncé qu'il portait la décision du juge Larouche en appel. «Je ne suis pas frustré de ça du tout», a tranquillement répondu le juge Larouche. Le magistrat a indiqué qu'il suspendait le procès pour attendre la décision de la Cour d'appel. Commencé le 10 novembre dernier, l'exercice était dans la dernière ligne droite avec la fin des plaidoiries des défendeurs.

Un peu plus tôt, le juge avait écouté les arguments des deux parties. Pour motiver sa demande de récusation, Me Woods a soutenu que le juge avait fait au cours du procès de nombreux commentaires qui démontraient sa partialité et son hostilité envers les avocats qui représentent M. Péladeau. Hier matin, Me Woods a amendé sa requête pour y ajouter les derniers commentaires qu'a faits le juge, vendredi dernier, alors que lui-même était en Ontario pour les funérailles de sa soeur. Il a indiqué que Me Woods l'avait harcelé jusque dans son bureau, la veille, pour obtenir la remise du procès qu'il venait de lui refuser en salle d'audience. «Comme M. Lafrance, vous jouissez d'une grande notoriété. C'est une accusation grave, voire diffamatoire, a noté Me Woods. C'est une autre attaque encore une fois dénuée de tout fondement.»

Humour et rigueur

Me Julie Chenette, avocate de Radio-Canada, s'est pour sa part employée à pulvériser les arguments énoncés dans la requête en récusation. Il faut prendre les commentaires du juge dans leur contexte, a-t-elle plaidé. Selon elle, plusieurs des propos reprochés au juge ont été prononcés sur le ton de l'humour. C'était le cas lorsqu'il a dit que, à son âge, il ne devrait pas rendre de longs jugements, qu'il avait hérité de la cause parce qu'il avait été le dernier à choisir, que le nom de Jean Coutu était plus aimé que celui de M. Péladeau parce qu'il est l'ami de tout le monde, alors que M. Péladeau n'a pas que des amis...

Me Woods déduit des propos du juge qu'il n'est pas intéressé par la cause. Me Chenette a relevé de nombreux commentaires du juge qui démontrent au contraire son intérêt et sa rigueur, a-t-elle plaidé. «Vous allez comprendre que je suis rigoureux avec ce qui se passe devant moi... J'essaie de suivre du mieux que je peux... Vous connaissez votre dossier, c'est intéressant de savoir ça... Vous ne m'avez pas surveillé, je prends des notes... J'ai hâte de savoir ce que vous voulez exactement...», a notamment dit le juge à un moment ou à un autre du procès.

«Il ne faut pas confondre critique et partialité. Vous n'êtes pas obligé d'être un sphinx, vous avez le droit d'être indigné», a dit Me Chenette, qui pense que c'est l'émotivité qui a incité les avocats à colorer les faits.

Me Chenette a aussi dit qu'il s'agit d'un dossier difficile, médiatisé, et «qu'il est normal qu'il y ait des commentaires». «Vous avez été exigeant avec tous les procureurs», a-t-elle dit, en soulignant que les avocats de M. Péladeau n'avaient pas réussi à prouver la partialité du juge, qui jouit justement d'une présomption d'impartialité. Après s'être retiré dans son bureau pendant une vingtaine de minutes, le juge est revenu avec sa décision.

Il a indiqué qu'il est juge depuis bientôt 30 ans et que c'est la première fois qu'on lui demande de se récuser. Il a dit qu'il n'entretenait aucune sympathie envers l'une ou l'autre des parties et que sa récusation serait grandement préjudiciable. Rappelons que, dans cette affaire, M. Péladeau et ses entreprises réclament 700 000$ en dommages à Radio-Canada et à M. Lafrance, qui avait dit en janvier 2007 que M. Péladeau se «promenait comme un voyou» parce qu'il venait d'annoncer que Vidéotron suspendait ses paiements au Fonds canadien de télévision.