Les 1,2 million de Québécois qui vivent en union libre attendront encore avant de savoir s'ils peuvent demander une pension alimentaire personnelle. Québec demande à la Cour suprême de porter l'affaire Lola en appel. On devrait savoir avant le début de l'été si la cause sera entendue.



Selon le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, c'est une question de liberté de choix. «Les couples qui ne se marient pas sont présumés vouloir demeurer en marge du droit matrimonial», explique-t-il.

L'avocate de Lola, Me Anne-France Goldwater, est «déçue». «Je pensais que Québec se réveillerait enfin, lance-t-elle. Nous sommes la seule province canadienne qui empêche les conjoints de fait de demander une pension alimentaire. Et le gouvernement décide maintenant de dépenser l'argent des contribuables pour refuser d'évoluer.»

En novembre dernier, la Cour d'appel avait donné partiellement raison à sa cliente dans l'affaire «Lola contre Éric» (noms fictifs). Lola a cohabité pendant plus de sept années avec Éric, un très riche homme d'affaires québécois. Depuis leur séparation, elle recevait une pension alimentaire annuelle de 411 000$ pour ses enfants, en plus d'argent pour leur éducation et leurs voyages ainsi qu'un chauffeur.

Lola voulait aussi une pension alimentaire personnelle de 56 000$ par mois et 50 millions du patrimoine familial d'Éric. Mais le Code civil du Québec ne lui permettait pas de les obtenir. Seuls les gens mariés ou en union civile peuvent demander - ce qui n'équivaut pas à recevoir - une pension alimentaire personnelle ou une part du patrimoine familial. Les ex-conjoints de fait peuvent seulement réclamer une pension alimentaire pour leurs enfants.

Cette limitation contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, a tranché la Cour d'appel. Les magistrats ont toutefois maintenu l'interdiction aux conjoints de fait de demander une part du patrimoine.

Le risque de la Cour suprême

Si le gouvernement s'était plié au jugement, il aurait eu peu de latitude pour légiférer, estime M. Fournier. « (La Cour d'appel) assimile conjoints de fait et gens mariés sans aucune différence», soutient-il.

Si la Cour suprême entend la cause, le ministre espère qu'elle donnera plus «de marge de manoeuvre» à Québec pour changer la loi. Mais c'est un couteau à double tranchant, estime Me Goldwater. «La Cour suprême pourrait très bien confirmer la décision de la Cour d'appel et permettre en plus aux conjoints de fait de demander une part du patrimoine», avance-t-elle.

L'enjeu est majeur. Quelque 1,2 million de Québécois sont conjoints de fait. Cela représente le tiers des couples. Il s'agit de la plus importante proportion au Canada.

Depuis 1980, les élus québécois ont choisi à cinq reprises de ne pas «assujettir les conjoints de fait aux mêmes obligations que les époux», rappelle M. Fournier.

Ne pas se marier ou s'unir civilement est un choix, soutient le ministre. Me Goldwater conteste cet argument. Selon elle, un choix non éclairé n'est pas un vrai choix. «Nous avons déjà démontré que la plupart des conjoints de fait ignorent les droits qui leur échappent, indique-t-elle. En changeant la loi, on aiderait plusieurs familles monoparentales vulnérables.»

En novembre dernier, la Cour d'appel donnait une année au gouvernement pour modifier le Code civil. M. Fournier indique que tout en préparant sa demande à la Cour suprême, Québec «procède à des analyses» pour un possible changement de la loi. Le PQ voudrait que le gouvernement déclenche une commission parlementaire sur le sujet. Une idée que partage Me Goldwater. «Le gouvernement devrait commencer à réfléchir sérieusement à un nouveau projet de loi.»