Dans les jours qui précèdent Noël, d'ordinaire, on voit Joseph La Leggia s'amener dans la salle des pas perdus du palais de justice de Montréal avec 24 douzaines de cannolis, achetés à sa pâtisserie italienne préférée. Il en offre au personnel de la cour, aux avocats ou aux juges de passage. On le voit plaisanter et faire le drôle.

Depuis bientôt 30 ans qu'il pratique, «Jos», comme l'appellent ses confrères, est chez lui au palais, où on l'aperçoit pratiquement chaque jour. L'homme, qui a grandi à Saint-Léonard, n'est pas de ceux qu'on voit déclencher des querelles. Il est au contraire connu comme un des avocats les plus agréables du barreau de la défense. Les visages étaient longs, hier, avant l'ouverture des salles d'audience, et tout le monde ne parlait que de lui.

S'il a défendu des membres de plusieurs organisations criminelles, il n'a pas fait une carrière d'«avocat de la mafia». Il a une pratique très diversifiée, qui l'a amené à représenter tant des membres du clan sicilien que des motards, des membres de gangs de rue et nombre de quidams arrêtés pour conduite en état d'ébriété ou de banales affaires de voies de fait.

Autant il est un boute-en-train dans les couloirs, autant il est un avocat pugnace à la cour. On l'a vu dans l'affaire du meurtre de Raymond Ellis, où ses collègues et lui ont convaincu la juge Sophie Bourque de décréter l'arrêt complet du processus judiciaire à cause des agissements de la police et de la poursuite, après des débats très acrimonieux.

S'il n'est pas une des stars du barreau criminel, il est un des avocats les plus connus en défense et on loue généralement sa compétence. Il a un dossier sans tache au barreau.

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Il n'empêche que, comme son collègue et associé Pierre Morneau, sa pratique l'a parfois amené à travailler dans l'orbite de Vito Rizzuto, longtemps considéré comme le parrain de la mafia canadienne. Me La Leggia a fréquenté Agostino Cuntrera, un des lieutenants de Rizzuto, assassiné l'été dernier. Il s'est aussi trouvé mêlé, il y a neuf ans, à une histoire qui, de fil en aiguille, a abouti à la célèbre enquête de la GRC appelée Colisée.

À l'automne 2001, des policiers de York, en Ontario, avaient appris à la GRC que Rizzuto et ses collaborateurs avaient exercé des pressions sur un homme d'affaires de Toronto pour qu'il règle une importante dette.

Cet homme d'affaires devait 500 000$ à Frank Martorana, un Montréalais du clan Rizzuto. À son tour, Martorana devait la même somme à un concessionnaire de voitures de luxe de Montréal. Ce concessionnaire avait demandé à Vito Rizzuto de l'aider à recouvrer sa dette auprès de Martorana.

Martorana avait indiqué à Rizzuto qu'il pouvait la payer s'il se faisait lui-même rembourser les 500 000$ que lui devait l'homme d'affaires de Toronto. De passage à Montréal, cet homme d'affaires avait été convoqué à une rencontre avec Vito Rizzuto, son fils, Nick, un membre de la famille Caruana et un autre homme non identifié.

Il avait accepté de remettre l'argent à Me La Leggia, qui l'avait déposé dans un compte en fiducie. Plus tard, apprenant que ce dernier était avocat, l'homme d'affaires torontois avait menacé de porter plainte au Barreau. La somme lui a alors été renvoyée au complet.

L'enquête policière sur cette affaire a été la première de l'opération Cicéron, qui a ouvert la porte à l'opération Colisée. L'opération Cicéron portait un intérêt soutenu à l'influence de la mafia dans le milieu des affaires. Rien ne laisse croire que l'agression dont a été victime Me La Leggia, mardi, ait un lien quelconque avec ces événements, mais l'anecdote illustre l'environnement dangereux dans lequel il travaille depuis plusieurs années.

Des histoires tragiques

Être avocat de la mafia, des motards, des gangs de rue ou du crime organisé en général n'est pas une vocation de tout repos. Certains y laissent leur peau. L'assassinat le plus célèbre d'un avocat, dans les annales judiciaires de Montréal, est celui de Me Frank Shoofey, criminaliste actif dans le milieu de la boxe. Le 15 octobre 1985, Me Shoofey a été abattu de trois coups de feu à la tête et de deux autres au thorax dans son bureau de la rue Cherrier, près du parc La Fontaine.

Le 13 mai 1991, Me Sydney Leithman, qui représentait les intérêts de trafiquants colombiens, de la mafia italienne et du gang de l'Ouest, a été tué au volant de sa Saab décapotable après avoir quitté sa maison de Mont-Royal. Le tueur lui avait tiré quatre balles de calibre .45 dans la tête.

Le 10 septembre 1991, Me Paul Beaudry, qui défendait lui aussi des trafiquants colombiens, a été assassiné par balle dans son bureau du Vieux-Montréal. Touché au ventre, il s'était traîné derrière le tueur puis s'était affaissé dans l'entrée de l'immeuble.