Après 20 mois de délibéré, la Cour suprême du Canada a finalement rendu son verdict, hier: sauf certaines exceptions, la réglementation des nouvelles techniques de reproduction relève des provinces, et non d'Ottawa. Ce jugement de 150 pages balaie les ambitions fédérales d'imposer des normes pancanadiennes dans un domaine où le Québec, notamment, dispose déjà de son propre cadre législatif.

Malgré ce qui est considéré comme une «victoire» pour le Québec, qui a porté la cause au plus haut tribunal du pays avec l'appui de trois autres provinces, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, avait le triomphe modeste, hier. «Il ne faut pas le voir comme une victoire, a indiqué M. Bolduc. Le jugement maintient que le Québec a la prérogative au niveau de la santé. Les compétences en matière de santé au niveau provincial sont maintenues.»

C'est l'avis du juge Thomas Cromwell, qui a tranché au milieu de ses huit collègues, profondément divisés sur la façon d'interpréter la constitutionnalité des articles contestés de la Loi fédérale sur la procréation assistée. Quatre juges se sont rangés aux arguments d'Ottawa: la rémunération des donneurs de sperme ou d'ovules, les normes qui régissent les cliniques de fertilité ou la protection des renseignements personnels des donneurs, par exemple, relèvent du droit criminel, donc du fédéral. Quatre autres juges ont estimé que les articles contestés par Québec ne relèvent pas du droit criminel, mais de la compétence des provinces en matière de santé.

Le juge Cromwell a tranché. Certains articles, comme ceux qui concernent l'âge des donneurs et la rémunération des donneurs ou d'une mère porteuse, relèvent de la loi fédérale. D'autres, comme la gestion des renseignements personnels et la recherche en procréation assistée, doivent être réglementés par les provinces.

«La poire a donc été coupée en deux, observe le constitutionnaliste Benoît Pelletier. On a donné raison à Québec sur des choses importantes.» Mais l'ensemble des articles contestés aurait pu tomber entre les mains des provinces, dit-il, «en fonction de la même logique».

En suspens

Le jugement ne règle pas instantanément certaines questions, comme celle de la légalité de la procréation pour autrui (les mères porteuses), sur laquelle les lois provinciales et fédérale sont toujours en conflit.

La Cour suprême confirme les dispositions de la loi fédérale qui interdisent la rémunération des mères porteuses, mais elle permet le remboursement de certaines dépenses (qui devront être précisées par Santé Canada). Cet article reconnaît donc certains contrats de mères porteuses, qui sont invalides au Québec selon le Code civil. Le débat, au Québec, n'est donc pas terminé.

Autre discussion qu'Ottawa devra avoir avec les provinces: la compensation financière versée aux donneurs de gamètes, principalement les donneurs de sperme. «J'espère que le gouvernement fédéral va nous écouter, cette fois», dit le Dr François Bissonnette, directeur médical de la clinique de fertilité OVO et témoin expert pour le Procureur général du Québec dans cette cause.

Les donneurs ne sont plus rémunérés depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2004. Résultat: les banques canadiennes de sperme sont vides et les couples infertiles se tournent vers des banques commerciales étrangères ou le marché noir. «C'est exactement ce qu'on craignait et c'est un dangereux problème de santé publique. Il faut un encadrement afin d'avoir des banques de sperme au Canada pour éviter le tourisme reproductif.»

Mais généralement, les observateurs ont bon espoir que les lois provinciales et fédérale arriveront à s'harmoniser grâce aux mécanismes qui existent déjà, comme l'a souligné Benoît Pelletier. «Ce n'est pas le seul domaine où les deux ordres de gouvernement sont présents.»

«C'est souvent le réflexe qu'a le fédéral de vouloir intervenir lorsque, selon lui, une question a une dimension nationale. Lorsqu'il le fait et prohibe des comportements nettement immoraux, on peut dire que ça fait partie du droit criminel.» Québec ne contestait d'ailleurs pas la compétence fédérale pour interdire le clonage humain, par exemple. «Mais quand le fédéral va plus loin, comme c'est le cas ici, qu'il veut réglementer l'assistance à la procréation et la façon dont les services seront rendus, cela va trop loin. Ça relève de la santé.»

Il reste le mandat de l'agence fédérale Procréation assistée du Canada, créée en 2004 pour établir des normes pancanadiennes en la matière, qui se trouve rétréci de beaucoup. «L'agence est affaiblie, ça va de soi, dit M. Pelletier. Et ce sont aussi les ambitions fédérales d'avoir des normes pancanadiennes coercitives qui s'envolent.»

Le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, a indiqué hier qu'il avait besoin de plus de temps pour étudier la décision de la Cour suprême avant de la commenter.

- Avec la collaboration de Tommy Chouinard