Difficile de croire que l'homme à l'apparence banale assis dans le box des accusés, Steeve Boulanger, a réussi à soutirer des centaines de milliers de dollars à toutes sortes de gens au cours de sa vie en se faisant passer tantôt pour un cardiologue, tantôt pour un homme d'affaires, un colonel, et même un avocat bien connu...

Pour ses plus récentes duperies, Boulanger risque la peine maximale en matière de fraude, 14 ans de prison. «C'est un cas où la peine maximale s'applique. On ne peut pas imaginer un individu avec moins d'empathie», a récemment fait valoir le procureur de la Couronne, Mario Longpré, dans sa plaidoirie au palais de justice de Montréal. Boulanger a été dépeint comme un homme sans scrupules, un manipulateur qui en arrive à croire lui-même ses propres mensonges. «Je peux me faire passer pour n'importe qui. Quand je suis gelé depuis deux ou trois jours, je pars dans mes délires de fraude... Je pars dans mon monde, je suis convaincant», a-t-il déjà déclaré lors d'une évaluation psychologique.

L'homme de 42 ans a passé une bonne partie de sa vie adulte en prison pour ses nombreux délits. Mais même derrière les barreaux, il a trouvé le moyen de tromper des gens. Même la Sécurité nationale de la GRC est tombée dans le panneau, en janvier 2009, quand elle a ouvert une enquête au sujet d'un attentat terroriste dont Boulanger disait avoir eu vent alors qu'il partageait sa cellule avec Saïd Namouh. Ce dernier, Marocain d'origine, était alors à la veille d'avoir son procès pour terrorisme, au terme duquel il a d'ailleurs été condamné. L'affaire a été très médiatisée.

«La GRC n'a pas le choix de me croire. Je dis la vérité pour la première fois de ma câlisse de vie», avait affirmé Boulanger, impassible, aux enquêteurs qui le questionnaient pour tester sa crédibilité, en janvier 2009. L'homme, qui était en attente de procès pour fraudes, avait affirmé s'être converti à l'islam pour soutirer de l'information à Namouh. Il soutenait qu'une bombe allait exploser à Montréal. Il a décliné des noms de suspects (des personnes qui existaient vraiment), fait des liens avec des emplois et des lieux... Ses propos, à première vue, se tenaient. Seize enquêteurs de la GRC ont été mis à contribution pour vérifier ses dires, y compris des agents de filature. Au bout de deux semaines, Boulanger a été contraint de se soumettre au test du polygraphe, qu'il tentait d'éviter par des subterfuges. L'appareil ne s'est pas laissé duper et a détecté qu'il mentait. Parallèlement, au fur et à mesure que l'enquête progressait, son histoire s'est désintégrée. Il appert que Boulanger l'avait inventée pour éviter un transfert de prison et améliorer ses conditions de détention.

Des leurres et des meurtres

Sa petite blague avec la GRC lui a valu d'être accusé d'»incitation à craindre des activités terroristes», une accusation portée pour l'une des premières fois au Canada, à laquelle Boulanger a plaidé coupable, en mai dernier. Le même jour, il a aussi plaidé coupable à des accusations de fraudes de plus de 5000$ à l'égard de trois personnes, commises en 2005 et en 2007. À l'époque, il prétendait qu'il était militaire dans l'armée canadienne.

C'est à ce titre, sous le nom de James Bayle-Dugal, qu'il a fait la connaissance d'une femme grâce à une ligne de rencontres, en mai 2005. Propriétaire d'un immeuble en Mauricie, la femme, que nous appellerons Lise, était désemparée, car des locataires lui avaient laissé le logement en très piteux état après y avoir cultivé de la marijuana. Elle avait peur d'eux. Dugal a promis de la tirer de ce guêpier. Il connaissait une avocate, la meilleure, «recommandée par l'armée», qui pourrait l'aider. Seul inconvénient, elle était de Chicoutimi. Elle accepterait de venir à Montréal pour ce dossier, à condition qu'on lui loue une voiture et une chambre d'hôtel, a expliqué le faux militaire. Lise a donc loué une chambre d'hôtel pendant des semaines pour la supposée avocate, ainsi qu'une voiture.

Le bon Samaritain s'est aussi offert pour remettre le logement en état. Il a demandé et obtenu des milliers de dollars d'avance pour réaliser les fameux travaux, dont une somme pour louer un appareil de l'armée, «indispensable» pour décontaminer l'endroit! Lise a été fort déçue lorsque, au bout de quelques jours, elle est allée constater l'avancement des travaux. Rien n'avait été fait.

Il y avait eu un pépin, a avoué Dugal. Fin limier, il avait «détecté» que deux meurtres avaient été commis dans le logement, ce qui l'avait contraint à appeler les policiers. Il ne fallait surtout pas que Lise entre dans le logement et brouille les pistes avec ses propres empreintes...

Quelques jours plus tard, la femme a enfin découvert qu'elle s'était fait berner depuis le début. Dugal était en fait un récidiviste en liberté illégale. En moins d'un mois, il lui avait soutiré environ 70 000$. Elle n'en est pas encore remise.

Mon général

Deux ans plus tard, Boulanger s'est de nouveau fait passer pour un militaire et s'est même donné du galon. Le 23 septembre 2007, dans un réseau téléphonique de rencontres, il s'est présenté à une femme comme étant le colonel Danick Dugal, militaire depuis 23 ans, de retour de Kandahar. La relation semblait prometteuse. Le colonel était bien de sa personne, habillé comme une carte de mode, et il conduisait des voitures de luxe. Au bout de quelques jours, il a annoncé à sa nouvelle flamme qu'il allait être promu général, responsable de trois bases militaires, dont celles de Longue-Pointe et de Saint-Jean. On allait lui faire une grande fête pour sa nomination, à laquelle madame serait évidemment conviée. En attendant, il avait d'autres soucis. L'armée avait 150 voitures à liquider à des prix ridicules. La soeur de madame cherchait une Honda Accord, modèle qui figurait justement dans le lot. Saisissant l'occasion, la soeur a remis plus de 5000$ en argent au général. Elle a parlé de son coup de chance extraordinaire à son travail. Son patron s'est laissé tenter, en a parlé à son entourage, et il a fini par commander six voitures, pour lesquelles il a remis plus de 17 000$ en argent comptant.

Le «général» faisait par ailleurs des promesses que toutes sortes d'incidents rocambolesques l'empêchaient de tenir. À titre d'exemple, un jour, il a manqué un rendez-vous avec madame parce qu'il avait prétendument dû se rendre au chevet de son vieux père, hospitalisé pour une allergie alimentaire. En empirant de jour en jour l'état de santé du vieillard imaginaire (méningite, coma, mort cérébrale, puis mort définitive), le «général» a réussi à gagner plusieurs jours de délai. En fin de compte, les acheteurs crédules ont été bien déçus quand ils se sont présentés à la base de Longue-Pointe, le 19 octobre 2007, pour prendre possession de leurs voitures...

Boulanger a été arrêté en décembre 2007, alors qu'il roulait en BMW de location. Il est détenu depuis. C'est pour ces crimes qu'il doit recevoir sa peine.

Même le cancer

La vie de Boulanger est une suite ininterrompue de tromperies. Se faisant passer pour un éminent médecin, il a déjà demandé des milliers de dollars à un cancéreux pour une opération salvatrice que devait réaliser un éminent collègue aux États-Unis. Il s'est aussi fait passer pour un cardiologue auprès d'une femme qu'il a agressée sexuellement. Il a soutiré 25 000$ à un vieux couple de Joliette. Il s'est fait libérer d'une cellule de la cour municipale, à Montréal, en prenant l'identité d'un autre prévenu, qui dormait sur un banc. Il est même parti avec les effets personnels de ce dernier. Au téléphone, il s'est fait passer pour l'avocat Claude F. Archambault et a obtenu une avance de 2 000$ de la famille d'un détenu pour le représenter dans sa cause. Il a également abusé de personnes qui n'ont pas porté plainte, et sans doute d'autres qui ne se sont jamais manifestées.

Originaire d'une bonne famille de la région de Sept-Îles, l'accusé est le cadet d'une famille de huit enfants. Il est le seul qui ait eu des problèmes avec la justice. L'homme s'est automutilé et a fait plusieurs tentatives de suicide au cours de sa vie, dont certaines en vue de s'évader. Il s'est d'ailleurs évadé à quelques reprises. Il affirme entendre des voix depuis 1999, résultat d'un mauvais trip de PCP et de problèmes de schizophrénie, croit-il. Il a aussi fait une prise d'otage à Port-Cartier et a longtemps été en isolement en prison, souvent à sa propre demande. «Son dossier carcéral fait trois boîtes, trois piles de trois pieds chacune», a précisé Me Longpré.

Le 4 février, ce sera à l'avocat de Boulanger, Me Luc Vaillancourt, de faire sa plaidoirie devant la juge Louise Villemure.