Il a 1279 amis sur le site MySpace. Sa popularité est encore plus grande sur Facebook: pas moins de 4598 personnes «aiment» ses pages. Est-ce un acteur? Une vedette rock? Non. Il s'agit du gang des Crips, les «Bleus».

Les chercheurs Carlo Morselli et David Décary-Hétu ont analysé la présence des gangs de rue sur les sites Twitter, Facebook et MySpace dans l'étude L'utilisation des sites de réseautage social à des fins criminelles: Étude et analyse du phénomène de «cyberbanging», que La Presse a obtenue en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Commandée l'an dernier par le ministère fédéral de la Sécurité publique, la recherche conclut que les réseaux sociaux sont devenus un moyen de communication «immensément populaire» dans l'univers des gangs. Les membres et les sympathisants les utilisent pour promouvoir leur image, étendre leur réputation et diffuser leurs activités.

«Ces sites constituent un nouveau lieu de convergence où les gangs peuvent interagir avec un plus grand nombre de personnes», explique Carlo Morselli, professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal et directeur adjoint du Centre international de criminologie comparée. Pour la plupart, les internautes qui se trouvent exposés au mode de vie et aux «exploits» des gangs ne l'auraient pas été autrement.

Selon l'étude, les gangs sont particulièrement présents sur le site MySpace. La page des Bloods (les «Rouges») compte 1422 amis, et celles des Crips, 1279 amis. Plus populaires encore, les Latin Kings et MS-13 y comptent respectivement 4531 et 5084 admirateurs.

«Tous les gangs affichent une multitude de photos de leurs fusils, de leurs couleurs et de signes d'allégeance avec leurs mains», écrivent les auteurs, qui ont aussi découvert des vidéos de menaces contre des groupes rivaux. Il y avait du matériel semblable sur Facebook.

Les chercheurs citent l'exemple de la page MySpace d'un certain «elmara8», qui se présente comme un homme de 25 ans de Los Angeles. Il y affiche des photos d'un immense tatouage du gang MS-13 et d'une montagne de cocottes de cannabis. À l'arrière-plan, on voit des dessins de l'Oncle Sam sur lesquels on peut lire: «Je te veux pour MS-13».

Des photos d'armes sont également exhibées sur le site Pouchons.com, a constaté La Presse.

Du recrutement?

Dans les dernières années, quelques histoires de recrutement sur les réseaux sociaux ont défrayé la chronique dans les pays occidentaux. Les deux chercheurs citent un article paru en juin 2009 dans le Daily Star, à Londres. Un garçon de 18 ans avait été pressenti sur Facebook pour faire partie d'un groupe dédié à un patron de la mafia sicilienne. Un homme lui avait par la suite proposé d'agir à titre de collecteur dans les rackets de protection de l'organisation.

Contrairement à la croyance populaire, Carlo Morselli doute que les groupes criminels se servent des réseaux sociaux pour trouver des recrues. «Le contact sur l'internet est moins intime, dit-il. Les groupes criminels ne vont pas recruter des membres simplement parce qu'ils fréquentent leurs sites. Il y a trop de risques.»

Il est toutefois possible que le premier contact sur le web mène à des fréquentations réelles, selon le chercheur. «Je doute que ce soit un phénomène, mais c'est une possibilité», dit-il. M. Morselli souligne que les internautes qui s'intéressent à ces sites sont en général sympathiques à la cause des gangs et un peu voyeurs.

Les jeunes les plus vulnérables peuvent être influencés par les photos et les vidéos mettant en scène des membres de gang, selon Frantz Jean-Jacques, intervenant psychosocial au centre L'Escale 13-17, à Montréal-Nord.

«Ça peut avoir un effet incitatif, croit-il. Les jeunes fréquentent beaucoup l'internet et ça peut être un élément de fascination qui peut pousser le jeune à se créer un idéal.»

Une autre recherche

Le ministère de la Sécurité publique a commandé une autre recherche cette année pour approfondir la question de l'utilisation des réseaux sociaux par les organisations criminelles et les gangs.

«Il s'agit d'une question d'intérêt pour le Ministère puisque de plus en plus de Canadiens, d'organisations criminelles, de gangs et d'organismes d'application de la loi se servent des médias sociaux au quotidien», a écrit une porte-parole du Ministère dans un bref courriel.

Le ministère de la Sécurité publique a décliné notre demande d'entrevue.

- Avec la collaboration de William Leclerc