Deux intervenantes de la DPJ ont «manqué d'objectivité, d'impartialité, de courtoisie et d'ouverture» en «prenant parti» pour la mère dans un dossier de protection de la jeunesse.

C'est ce que conclut la Cour supérieure dans un récent jugement en matière civile. Un père et sa nouvelle conjointe avaient poursuivi la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de la Montérégie et deux de ses intervenantes.

La juge Marie-Christine Laberge reconnaît que «les comportements des intervenantes ont été fautifs à plusieurs égards», mais elle a néanmoins rejeté la demande du père parce qu'une clause d'immunité protège la DPJ de toute responsabilité civile.

L'affaire a commencé à la fin des années 90, lorsque le père et la mère se sont séparés. Leur fille avait 3 ans et leur fils, 2 ans. La mère a d'abord eu la garde parce que le père avait quitté la résidence familiale à la suite d'incidents de violence entre les parents.

En juin 1998, la Cour supérieure a confié la garde au père après que deux psychologues l'eurent recommandé. La mère avait des comportements «narcissiques». Le père, policier, était «impulsif et coléreux», mais il avait la capacité de s'occuper des enfants.

La mère a vu ses enfants un week-end sur deux pendant deux ans. En juin 2000, elle a cessé de se présenter sans fournir d'explications. Elle ne les a pas revus pendant quatre ans.

En décembre 2003, les enfants, âgés de 9 et 10 ans, ont dit à leur enseignant que leur père était violent avec eux. La direction de l'école a avisé la DPJ, qui a retiré la garde des enfants au père pour la confier à la mère, qui habitait en Ontario.

Malgré les démarches de l'avocate du père, la DPJ a refusé de consulter le rapport d'expertise des deux psychologues. Même si les enfants réclamaient la garde partagée, on ne la leur a pas accordée. «Les intervenantes du DPJ sont fermées à toute solution, écrit la juge Laberge. On préfère croire à la violence.»

Un an plus tard, le tribunal de la jeunesse a confié les enfants à une famille d'accueil au motif que les comportements de la mère compromettaient leur sécurité et leur développement. Le juge a conclu que les enfants avaient «élaboré un stratagème» pour revoir leur mère en racontant que leur père était violent avec eux. En effet, le fils a rapidement admis qu'il avait menti, mais les intervenantes ne l'ont pas cru.

Dans les mois suivants, les enfants sont retournés vivre chez leur père et leur belle-mère.

Certaines attitudes des intervenantes sont «inadmissibles», selon la juge Laberge. Elle leur reproche de n'avoir tenu aucun compte de la version du père, d'avoir posé des questions suggestives aux enfants, de ne pas leur avoir fourni des soins psychologiques et d'avoir étiré le processus.

Clause d'immunité

«Le Tribunal estime que tant les séquelles psychologiques que les inconvénients vécus seraient adéquatement compensés par l'attribution d'une somme de 25 000$ à chacun des demandeurs et 15 000$ à chacun des enfants, écrit la juge. Cependant, le Tribunal en vient à la conclusion que le DPJ n'est pas responsable de ces dommages en raison de la clause d'immunité qui le protège.»

Selon la magistrate, l'immunité s'applique parce que rien ne prouve que les intervenantes ont agi de «mauvaise foi». De plus, elle conclut que, au début, la DPJ avait des motifs «raisonnables et probables» de croire que les enfants étaient victimes de violence.

Alain Roy, professeur de droit de l'enfant et de la famille à l'Université de Montréal, estime quant à lui que les intervenantes ont agi de mauvaise foi. «Je suis tenant d'une interprétation plus restrictive de la notion d'immunité, dit-il. Notre système de protection n'est pas là pour consolider des gâchis, il est là pour les prévenir.»

Le centre jeunesse de la Montérégie a pris «bonne note» du jugement et des critiques à l'égard de toutes les parties, a indiqué sa porte-parole, Chantal Huot. «On ne partage pas nécessairement toutes ses conclusions, mais on va s'assurer à l'interne que certains processus soient amendés», a-t-elle dit.