Dans la journée du vendredi 20 février 2009, Guy Turcotte était un homme séduisant de 36 ans, récemment séparé, cardiologue respecté, apprécié de ses collègues à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, et un père aimant pour ses deux enfants.

Moins de 24 heures plus tard, Guy Turcotte était «l'homme qui a tué ses enfants».

Les éléments factuels de cette chute vertigineuse ont été au coeur de la première semaine du procès de Guy Turcotte, accusé des meurtres prémédités de ses deux enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans. Les autres éléments, et les explications, s'il y en a, viendront plus tard. Pour le moment, voici un bref résumé de la preuve présentée jusqu'ici, dans ce procès qui se déroule à Saint-Jérôme.

L'appel

Vendredi soir 20 février 2009. Marguerite Fournier n'a pas eu de nouvelles de son fils Guy de la semaine. D'habitude, il l'appelle au moins deux ou trois fois. Elle lui téléphone vers 20h15. À l'autre bout du fil, on décroche, puis on raccroche. Une quinzaine de minutes plus tard, le téléphone sonne. «Maman, m'as-tu appelé? demande Guy à sa mère. Oui, les enfants dorment.»

Guy est nouvellement séparé de sa conjointe Isabelle Gaston, médecin elle aussi à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme. Il vient de s'installer dans une maison meublée qu'il a trouvée à louer à Piedmont. Selon Mme Fournier, c'est une solution temporaire, car il projette d'acheter une maison à Prévost, où réside Mme Gaston, pour faciliter la garde partagée. Il doit même rencontrer un agent immobilier le lendemain, à ce sujet. Mme Fournier trouve que c'est un peu vite, mais bon, ça le regarde.

Quoi qu'il en soit, pour la première fois, lors de cet appel, Guy parle du motif de sa séparation: Isabelle a un «chum». «Ça fait des semaines que ça dure. Fernand (un voisin) me l'a dit. Tu te rends compte, maman? Ça s'est passé dans ma maison, dans mon lit», répète-t-il souvent. Il dit qu'Isabelle l'a démoli, qu'il a tout fait pour la contenter. «Je t'aime, maman, dis à papa que je l'aime.» Il nomme chacun de ses cinq frères et soeurs, et dit qu'il les aime.

Son discours est étrange, son élocution bizarre. Guy est affectueux, mais n'a jamais dit les mots «je t'aime» comme il le fait maintenant. Sa mère se demande s'il a bu, lui qu'elle n'a jamais vu ivre de sa vie, et qui prend à peine un verre de vin dans les réunions de famille. «Parce qu'il veut être disponible pour ses enfants.» Mme Fournier tente d'encourager son fils. Ça ira mieux demain. Puis tous deux raccrochent. Elle regarde l'heure, 21h40.

L'inquiétude tourmente Mme Fournier. Elle voudrait se rendre à Piedmont, mais elle demeure à Saint-Hubert, et son mari, Réal, est parti avec la voiture. Quand ce dernier revient, vers 23h30, Mme Fournier l'avise qu'elle veut aller voir Guy immédiatement.

Son mari lui dit d'attendre le lendemain.

Le lendemain matin, Mme Fournier téléphone chez son fils vers 8h30. Pas de réponse. Elle presse son mari et ils partent pour Piedmont. À leur arrivée, la voiture de Guy est là. Personne ne répond à la porte. Mme Fournier appelle le 911 avec son portable.

Patrick Bigras, policier de la Régie de police de Rivière-du-Nord, arrive le premier sur les lieux, à 11h11. Il pénètre dans la maison par une fenêtre et crie «police». Il entend un «beding, bedang» à l'étage au-dessus. Il va ouvrir la porte à son supérieur, Marc-Antoine Bigué, qui vient d'arriver. Ils dégainent leurs armes et montent prudemment à l'étage. Une scène d'horreur les attend. Dans une chambre, ils trouvent le petit Olivier, avec des blessures à l'abdomen. Dans une autre chambre gît la petite Anne-Sophie, dans le même état. Les deux enfants sont morts, c'est évident. Ils découvrent Guy Turcotte sous le lit de la chambre des maîtres, somnolent, mais conscient, souillé de vomissures.

«Tu es un imbécile», s'exclame le policier Bigras.

«Je le sais», répond M. Turcotte.

Guy Turcotte veut qu'on le laisse tranquille, il veut mourir. «Je sais ce que j'ai fait», dit-il.

Deux ambulanciers arrivent, constatent qu'il n'y a rien à faire pour les enfants, et s'occupent de l'individu. Questionné, il dit qu'il a pris des Valium. Ils emmènent le suspect à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, l'hôpital le plus proche. Pendant ce temps, l'agent Bigras doit se rendre à une clinique de Saint-Sauveur pour trouver un médecin, n'importe lequel, et le ramener pour constater les morts.

Pas de traitements

Les employés des urgences à l'Hôtel-Dieu sont prévenus et se préparent à accueillir un «homme intoxiqué qui a tué ses deux enfants». Quand celui-ci arrive, peu après midi, les employés constatent avec consternation qu'il s'agit du Dr Turcotte, le cardiologue qu'ils côtoient à l'hôpital depuis six ou sept ans. Isabelle Gaston, femme du Dr Turcotte, travaille aux urgences du même hôpital, mais elle est en congé ce week-end-là.

Guy Turcotte refuse de dire ce qu'il a ingurgité, fait croire qu'il a pris des Tylenol. Il ne veut pas être traité. Il veut qu'on le laisse mourir. «Mettez-moi dans le corridor, allez vous occuper des autres patients. J'ai le droit de refuser les traitements. Je suis un criminel, j'ai tué mes enfants», répète-t-il. Il pleure, est agité, on lui met des contentions. On lui fait des tests. Il demande les résultats de son électrocardiogramme, veut savoir le pH révélé par son test d'urine. Il dit qu'il aime Isabelle comme un fou, qu'il lui a tout donné. «Si vous saviez ce qu'elle m'a fait endurer», dit-il en tenant serré la main de la responsable des urgences, Guylaine Paquin.

Vers 14h30, il finit par avouer qu'il a bu du lave-glace. Deux litres, la veille, vers 8h. «J'ai tué mes enfants. Avec un couteau. Mon fils dormait, je l'ai poignardé. À 8h hier», répond-il à un préposé aux bénéficiaires qui le questionne.

Le procès se poursuit aujourd'hui, avec le témoignage d'autres employés de l'hôpital. Rappelons que Guy Turcotte, qui a eu 39 ans jeudi, a reconnu dès le début du procès qu'il avait tué ses enfants. L'enjeu du procès est de déterminer s'il était mentalement responsable de ses gestes lorsqu'il les a commis.