Dans les mois suivant son incarcération à l'Institut Philippe-Pinel, Guy Turcotte avait un sentiment de fin de vie du fait d'avoir perdu ses enfants, de les avoir tués, de ne plus les voir. Il avait peur d'en arriver à les oublier. Il ne pouvait pas regarder des enfants, ni des couteaux.

C'est, entre autres, ce que le Dr Jacques Talbot, psychiatre traitant de M. Turcotte en 2009, a raconté ce matin, alors qu'il témoignait au procès de M. Turcotte. C'est la Couronne qui a appelé ce témoin en contre-preuve. Dès le début de son témoignage, le Dr Talbot a indiqué qu'il se sentait lié en raison de son lien professionnel avec M. Turcotte, et qu'il ne pourrait témoigner à moins que la Cour ne le libère de son secret professionnel. Après des discussions, le juge Marc David a accepté.

Le Dr Talbot, psychiatre depuis 43 ans à l'Institut Philippe-Pinel, a expliqué que M. Turcotte était arrivé dans cette institution le 26 février 2009, soit cinq jours après avoir poignardé ses deux enfants à mort. Il était identifié comme suicidaire, présentait toujours des «résidus d'intoxication» du fait de sa tentative de suicide au lave-glace, mais était cohérent. Il avait cependant des «flous de mémoire.»

M. Turcotte, lui-même médecin, ne voulait pas être amorti par la médication. Le psychiatre Talbot s'est vite rendu compte qu'il était en face d'un «individu hyper contrôlé», en contrôle de ses moyens, méticuleux, précis, avec des traits de personnalité obsessionnelle, ainsi que des traits narcissiques. Devant les émotions, M. Turcotte avait cependant une attitude de réserve, une tendance à l'évitement. «Moi, je m'interdis de rêvasser. Je suis passé maître dans l'art de camoufler mes émotions», a-t-il confié au psychiatre. Selon ce dernier, M. Turcotte faisait de la fuite en avant par l'action, plutôt que de s'arrêter à l'intolérable. M. Turcotte organisait ses affaires, demandait à ses parents de faire telle ou telle chose. Il était cependant triste, anxieux, vivait un grand désarroi. Il était sous surveillance très serrée, car il était considéré comme suicidaire. Cette situation a duré des mois.

En mars, le Dr Talbot a posé un diagnostic de trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse et dépressive. Il avait de la colère face à des éléments de son passé, notamment au sujet de sa relation avec son ex-conjointe, Isabelle Gaston. C'était de la colère, mais non de la haine, a noté le psychiatre. Le Dr Talbot a parlé d'un incident qui a fâché M. Turcotte. À un moment non précisé, un abbé a téléphoné à l'Institut pour  parler à Guy Turcotte. Cet abbé préparait l'homélie pour les funérailles des enfants, et il voulait en discuter avec M. Turcotte. Le psychiatre a trouvé que c'était contre-indiqué et n'a pas voulu relayer l'appel. M. Turcotte l'a su par la suite, et il en a été très fâché et trouvait cela mesquin. Il en voulait au Dr Talbot.

Le psychiatre Talbot poursuit son témoignage cet après-midi, à Saint-Jérôme.

Un peu plus tôt, ce matin, la défense a présenté son dernier élément de preuve. Il s'agit des vidéos de surveillance du club vidéo Vidéozone, sur lesquels apparaissent M. Turcotte et ses deux enfants, vers 16h30, le 20 février 2009. Ils y ont loué des films, notamment Caillou, et acheté des friandises. Ce visionnement, dernières images des enfants de leur vivant,  a donné beaucoup d'émotions à la mère des petites victimes, Isabelle Gaston, qui s'est mise à sangloter silencieusement. M. Turcotte pleurait lui aussi dans le box des accusés, la tête penchée vers le sol. Sur les images, on voit la petite Anne-Sophie, trois ans, avec une tuque rouge, et Olivier, cinq ans, avec une tuque brune, se promener dans les allées avec leur père. Quelques heures plus tard, ce dernier les poignardait à mort dans la maison de Piedmont qu'il louait depuis moins d'un mois. Il a lui-même bu du lave-glace pour se suicider. Rappelons que l'homme de 39 ans, cardiologue au moment des faits, est accusé des meurtres prémédités de ses enfants. Le drame s'est produit dans un contexte de séparation. Son procès est sur les rails depuis plus de sept semaines.