Revenu Québec vient de bloquer deux réseaux soupçonnés d'avoir orchestré une vaste fraude dans le domaine de l'or. Les fraudeurs auraient empoché 150 millions de dollars de crédits de TVQ et peut-être autant en TPS.



Jeudi, Revenu Québec a fait état de perquisitions à plus de 70 adresses de Montréal, Westmount, Laval, Brossard et Saint-Bernard-de-Lacolle, notamment. Plus de 175 enquêteurs ont été déployés afin d'exécuter ces perquisitions. En plus des bureaux d'affaires des entreprises, Revenu Québec a rendu visite à des firmes comptables, des syndics de faillite et des résidences privées.

Les deux réseaux utiliseraient le même stratagème. Le premier serait dirigé par Métaux Kitco et le second par Carmen International. Plus de 125 sociétés seraient complices, selon Revenu Québec. Ces entités auraient engendré des activités artificielles totalisant 1,8 milliard de dollars.

Le stratagème, fort complexe, aurait permis aux entreprises d'empocher indûment des crédits de taxe de vente des gouvernements. Il faut savoir que tout commerçant verse aux gouvernements les taxes qu'il perçoit des consommateurs, moins celles qu'il paie aux fournisseurs.

Selon Revenu Québec, le premier groupe du stratagème, transformateur d'or, aurait eu recours à de fausses factures de fournisseurs pour ramener à zéro le total net de taxes à payer aux gouvernements.

Le deuxième groupe du stratagème aurait, de son côté, payé l'essentiel de ses taxes de vente au premier groupe. Cependant, comme il ne vend que de l'or pur, un produit détaxé, il ne perçoit pas de taxes de ses clients et peut réclamer, au bout du compte, des crédits de taxes au gouvernement pour les taxes payées à ses fournisseurs, ceux du premier groupe.

La valeur de la fraude est la somme indûment réclamée aux gouvernements par les deux groupes, de connivence. Les métaux précieux utilisés sont constamment recyclés pour recommencer le stratagème, selon Revenu Québec. Les réseaux utiliseraient beaucoup d'argent comptant.

En plus des crédits de TVQ faussement réclamés, une enquête doit être menée sur le volet TPS, du gouvernement fédéral. La somme pourrait donc presque doubler, à près de 300 millions.

À cela s'ajoute la part de l'impôt sur le revenu qui n'aurait pas été payée. Jeudi, La Presse a mis la main sur un jugement en Cour supérieure où Revenu Québec réclame à la seule entreprise Kitco une somme de 188,6 millions. En novembre dernier, Carmen International se voyait pour sa part réclamer 32,6 millions. Ces sommes englobent la TVQ et l'impôt québécois sur le revenu.

620, rue Cathcart

L'enquête de Revenu Québec dure depuis plusieurs mois. En novembre, La Presse faisait état des nombreuses réclamations de l'organisme à des locataires du 620, rue Cathcart, à Montréal, surnommé la tour des bijoutiers.

L'immeuble de 10 étages est situé au coin de la rue Union, près du square Phillips, en plein coeur de Montréal. Il est rempli de fabricants, d'importateurs et de grossistes de bijoux, avait pu constater La Presse.

Métaux Kitco est l'un des locataires, au 9e étage. Cette entreprise est la propriété de Bart Kitner, de Côte-Saint-Luc. Nous n'avons pu parler à M. Kitner ni à ses avocats de la firme Sweibel Novek. La porte-parole Sharlene Dozois nous a toutefois rappelés pour nous dire que l'entreprise ne pouvait faire de commentaire, puisque l'affaire est devant les tribunaux.

Dans le cas de Carmen, situé au 5333, avenue Casgrain, à Montréal, le message téléphonique de l'entreprise indique que les bureaux étaient fermés en raison des festivités juives. L'entreprise appartient aux familles Chesir et Friedman.

Revenu Québec dit avoir des motifs raisonnables de croire que certains professionnels ont participé à la production de fausses déclarations de taxes et de fausses factures, notamment Viken Gebenlian, Haroutioun Dakessian et Oskan Hazarebedian.

Au cours des derniers mois, deux sources avaient fait part du présumé stratagème à La Presse, affirmant que les fonds sont en bonne partie sortis du pays.