Kevin* ressemble au Petit Prince.

Mais sous ses airs angéliques se cachent un agresseur sexuel et un pyromane.

Un psychiatre de l'Institut Philippe-Pinel a qualifié son risque de récidive d'«imminent». En d'autres mots, l'adolescent de 13 ans aux traits enfantins est une bombe à retardement. Il ne peut en aucun temps rester seul avec un autre enfant.

À contrecoeur, une juge de la cour criminelle de la Chambre de la jeunesse de Montréal vient de le condamner à une peine plus clémente qu'elle ne l'aurait désiré.

La juge Carole Brosseau aurait préféré ordonner une peine plus sévère de «garde fermée», comme le recommandaient un psychiatre de Pinel et la procureure de la Couronne.

«Je partage les frustrations de la poursuite», a même dit la magistrate. Or, le «manque de souplesse» du Directeur de la protection de la jeunesse l'en a empêché, a souligné la juge lors de sa décision rendue mercredi.

L'histoire de Kevin démontre bien la complexité des dossiers des jeunes agresseurs sexuels. Trop immature pour suivre une thérapie spécialisée pour les délinquants sexuels. Trop dangereux pour vivre en société. Trop vulnérable pour être envoyé à Cité-des-Prairies avec les membres de gangs de rue et d'autres délinquants.

À 6 ans, Kevin allume son premier incendie. À 8 ans, il met le feu au logement de sa mère. Il en tire un plaisir sexuel. Déjà, un psychiatre qui l'évalue parle de risque de récidive élevé. Un jour, il poignarde une camarade de classe avec un ciseau. La Protection de la jeunesse s'en mêle: il sera placé jusqu'à ses 18 ans.

La Cour parle de «lourds antécédents sociaux»: il était trop jeune pour être accusé au criminel.

À 12 ans, Kevin a la permission de rendre visite à sa mère, à son jeune frère et à sa soeur. Durant ces visites, entre novembre 2009 et janvier 2010, il abusera à cinq reprises de son frère de 5 ans, allant jusqu'à le sodomiser.

C'est l'enfant qui dénoncera son grand frère à la DPJ. Kevin a maintenant l'âge minimal pour être inculpé en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents. Il plaide coupable du bout des lèvres en octobre 2010. La juge demande alors au centre jeunesse et au Centre de psychiatrie légale de Montréal, une branche de l'Institut Philippe-Pinel, d'évaluer l'adolescent pour l'éclairer sur la peine à imposer.

Cinq mois plus tard, les rapports sont prêts. L'adolescent refuse d'admettre le tort qu'il a fait subir à son petit frère. Il n'a aucune empathie. Il présente plusieurs signes de problèmes psychiatriques. Il a manifestement une déviance sexuelle, concluent les spécialistes.

Immature et réfractaire

En théorie, Kevin pourrait suivre une thérapie spécialisée pour les adolescents aux prises avec une déviance sexuelle offerte à Pinel. En pratique, les psychiatres le trouvent trop immature et trop réfractaire. La thérapie ne servirait à rien pour l'instant.

Aux yeux de la juge, ces réponses sont insatisfaisantes. La magistrate ordonne qu'il soit évalué une fois de plus à Pinel.

Le psychiatre Louis Morrissette recommande finalement un «long traitement» de 12 mois en garde fermée, «pour la protection du public». Le problème, c'est que le seul établissement qualifié à Montréal, Cité-des-Prairies, ne convient pas à un jeune agresseur sexuel comme Kevin. La moyenne d'âge des délinquants y est de 16 ans. La majorité d'entre eux sont des membres de gangs de rue.

Avant de recevoir sa peine, Kevin était hébergé dans une unité de protection avec une douzaine d'adolescents de 12 à 14 ans. C'est un milieu «ouvert» où les jeunes ont des permissions de sortie. Il y faisait l'objet d'une surveillance stricte. Un éducateur l'accompagnait dans tous ses déplacements. Même à la toilette.

Après avoir lu le rapport du Dr Morrissette, la juge a voulu ordonner une «garde fermée» pour protéger la société, sans toutefois changer Kevin de centre. Son but: que l'adolescent comprenne la gravité de son geste sans toutefois le déraciner encore une fois.

Impossible, a répondu la DPJ. Une peine de «garde fermée» ne peut être purgée dans un «milieu ouvert». Pas d'exception.

Pas de piscine pour Kevin

«Le psychiatre ne veut même pas qu'il sorte pour un suivi psychologique dans une clinique tellement il pose un danger pour les autres. Qu'arrivera-t-il lorsque son groupe fera une sortie à la piscine?», a demandé la procureure de la Couronne, Me Marie-Claude Bourassa. Et comment Kevin va-t-il comprendre qu'il a commis un crime s'il reste dans la même unité, a ajouté la procureure.

Kevin n'aura pas le droit d'aller à la piscine, a répondu la représentante du centre jeunesse venue témoigner au procès, Lise Drolet. «Si on le brusque, on va le perdre», a-t-elle lancé, plaidant du même coup pour une peine de six mois à purger dans son unité de protection actuelle.

La juge s'est finalement pliée aux arguments de la DPJ en imposant une peine de huit mois de «garde ouverte» dans son unité actuelle, non sans exprimer le souhait que la DPJ fasse preuve de plus de souplesse à l'avenir. Cette peine est assortie d'une période de surveillance de 16 mois.

À la fin de l'audience, la juge s'est tournée vers Kevin, assis aux côtés de son avocate. «Je vois dans tes yeux tellement de points d'interrogation», lui a-t-elle dit avant de quitter le banc. Kevin s'est levé. Encadré de deux gardiens, il a repris le chemin du centre jeunesse.

Les mains dans les poches, vêtu d'un polo vert pâle et de chaussures de sport de la même couleur, il n'a pas regardé une seule fois ses parents assis dans la salle.

*Le nom de l'accusé a été changé puisque son identité ne doit pas être révélée en vertu de la loi.