Apparu sur toutes les chaînes de télévision au cours des derniers jours, le visage tuméfié de Rumana Monzur a suscité un vent de colère au Bangladesh. La jeune femme, aide-professeure à la prestigieuse Université de Dhaka et étudiante en maîtrise à Vancouver, a été sauvagement agressée par son mari. Son crime? Être brillante. Dans un pays marqué par la violence domestique, l'histoire de Rumana Monzur a créé une onde de choc. À Vancouver, les soutiens pour la jeune femme, aujourd'hui défigurée et aveugle, ne cessent de grandir.

Douce, intelligente. Lorsqu'elle évoque sa nièce, Shahin Akter, installée à Vancouver, contient avec peine son émotion. « On survit comme on peut. Il n'y a aucun espoir, jusqu'à présent, pour qu'elle retrouve la vue. Elle a une enfant très jeune qu'elle ne verra même pas grandir », se désole celle qui rejoint dès demain sa famille au Bangladesh.

Rumana Monzur, 33 ans, est arrivée au Canada il y a à peine plus de 10 mois pour décrocher une maîtrise de sciences politiques à l'Université de Colombie-Britannique. « C'est une jeune femme brillante, qui a eu une bourse célèbre pour étudier ici. Elle pensait même entamer une thèse », dit Saif Islam, étudiant bangladais, qui a rencontré la jeune femme dès son arrivée au Canada.

Éloignée de son mari et de sa fille pendant l'année scolaire, Rumana est rentrée au cours du mois de mai pour passer des vacances en famille. Elle devait boucler sa maîtrise à Vancouver cet automne. Discrète sur sa vie conjugale, Rumana appelait toutefois sa fille plusieurs fois par jour, selon Marleen der Ruiter, qui a habité la même résidence.

Une dizaine de jours après son retour à la maison, son mari, Hasan Sayed Sumon, l'a sauvagement agressée : selon les médias locaux, il s'opposait à son retour au Canada. En plus de lui briser le nez, il lui a arraché les yeux, devant leur fille. Selon les proches de Rumana, la fillette s'est murée dans le silence pendant plusieurs jours.

Les paupières violacées, le visage déformé par les coups, Rumana a témoigné sur son lit d'hôpital des sévices infligés par son mari. « Il a ôté la lumière de mon monde. Je ne peux même plus voir ma fille », a-t-elle dit aux journalistes venus à son chevet.

Arrêté le 15 juin, Hassan Sayed Sumon, a prétendu que sa femme avait une relation extra-conjugale au Canada, et qu'elle l'avait attaqué en premier. Plusieurs Bangladais ont alors manifesté leur soutien à l'époux, au dam des proches de la victime.

L'affaire a toutefois pris une ampleur nationale. Cette semaine, des députées ont manifesté devant le Parlement afin de réclamer la fin de la violence domestique. « Le pays a beaucoup fait pour les femmes et leur protection. Je m'attendais à ce que les choses aillent mieux, mais malheureusement, cette histoire montre que nous n'avons pas fait autant de progrès qu'on pourrait l'espérer. La société reste dominée par les hommes, et les femmes restent victimes de violence », regrette Amit Chakma, le président de l'University of Western Ontario, né au Bangladesh.

Au Canada, les soutiens se multiplient aussi. Dimanche, une manifestation contre la violence conjugale aura lieu à Vancouver. L'Université de Colombie-Britannique a créé un site et un fonds spécial pour recueillir les dons pour la jeune femme.

Enfin, une pétition en ligne et plusieurs pages Facebook ont été créées au cours des derniers jours pour Rumana.

« On veut attirer l'attention sur son cas, mais aussi sur la violence envers les femmes », dit Marleen de Ruiter, organisatrice de la manifestation de dimanche.

Sa famille espère qu'elle pourra s'installer, avec sa fille, au Canada, et se faire soigner en Amérique  du Nord. « Il faut maintenant lui rendre sa vie », estime Saif Islam.

Malgré l'indignation, il faudra attendre encore longtemps avant de voir la tolérance envers la violence domestique s'effriter au Bangladesh, craint Monir Hossain, rédacteur en chef du journal montréalais Dhaka Post. « Tous les jours, des milliers de femmes sont victimes de violences. La plupart du temps, elles n'apparaissent même pas à la télé. Le gouvernement est de bonne volonté pour faire cesser ces tortures, mais ça va prendre du temps pour changer les mentalités. »