Depuis 2008, les policiers de Montréal recourent de plus en plus à leurs armes, létales ou non, a appris La Presse. À Gatineau, dans certaines occasions, c'est le gaz poivre qui est privilégié par les policiers. À Québec, il s'agit plutôt du pistolet à impulsion électrique tandis que, à Longueuil, on a recours à la matraque télescopique.

C'est ce qu'indiquent des statistiques que La Presse a obtenues du ministère de la Sécurité publique (MSP) en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Elles recensent ville par ville, depuis 2004, le nombre d'interventions où il y a eu utilisation de gaz poivre, d'une arme à feu, du bâton télescopique et du pistolet à impulsion électrique.

Les policiers du Québec auraient utilisé 2597 fois l'une ou l'autre de ces armes depuis 2004. Dans quatre cas sur cinq, c'est le gaz poivre (aérosol capsique) qui a été employé.

Cette recrudescence de l'utilisation des armes par les patrouilleurs du SPVM n'a rien d'étonnant, aux yeux d'Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers de Montréal. Il y voit une relation de cause à effet: «On note une augmentation des crimes violents à Montréal, qui absorbe le tiers de la criminalité du Québec pour le quart de la population. On déplore de plus en plus de cas où nos policiers sont encerclés et blessés lors d'interventions et de manifestations.» Il donne l'exemple du boulevard Saint-Laurent, où les gangs criminels et les fêtards enivrés se déchaînent à la fermeture des bars. La Presse a par ailleurs appris que, lors de la manifestation du 1er mai, trois policiers ont eu des commotions cérébrales après avoir été agressés (voir autre texte).

Les policiers de Gatineau arrivent en deuxième position après Montréal pour l'utilisation du gaz poivre et de leur arme à feu.

À Québec, on remarque que le pistolet à impulsion électrique a été très employé de 2004 à 2007. Mais à la suite de la mort de Claudio Castagnetta, tué par une décharge en septembre 2007, l'utilisation de cette arme a radicalement diminué. Même chose à Montréal. «Nous avons revu nos règles d'engagement à la même époque, car cette arme a été repositionnée juste avant l'arme à feu par l'École de police de Nicolet», fait remarquer l'inspecteur Mario Carrier, du SPVM.

En disgrâce à Québec, le pistolet électrique revient au goût du jour à Montréal. La métropole vient d'annoncer qu'elle en augmentera le nombre de 42 à 57. La mort tragique de Mario Hamel et de Patrick Limoges, tués par balle au début du mois de juin, rue Sainte-Catherine Est, lors d'une opération policière qui a mal tourné, aurait convaincu la Ville d'en acquérir une quinzaine d'exemplaires.

Données erronées?

Mais ces données ne refléteraient pas nécessairement la réalité puisqu'elles sont fournies sur une base volontaire par les villes. De plus, l'emploi de la matraque télescopique n'est comptabilisé que depuis 2006 et -plus étonnant- celui des armes à feu, depuis 2007 seulement. Au Ministère, on explique que, jusqu'alors, on ne compilait que les coups de feu tirés. On estime que les nouvelles données par incident offrent un portrait plus complet.

«Mais 2007, ce n'est pas suffisant pour tracer une courbe évolutive», croit Marie-Michelle Lacasse, porte-parole du MSP.

Même commentaire laconique à la police de Gatineau: «Il est difficile de porter un jugement analytique ou de soumettre des hypothèses sur ces chiffres», écrit Éric Dinel, porte-parole. Il précise que les policiers de Gatineau se réfèrent au tableau d'utilisation de la force de l'École nationale de police.

Autre exemple: à Québec, on constate une distorsion entre les chiffres du ministère de la Sécurité publique et ceux de la police locale concernant le pistolet électrique, qui aurait servi 61 fois selon le MSP, et 80 fois selon la Ville de Québec.

À Montréal, on considère que certains chiffres sont surestimés, surtout pour 2010. Selon l'inspecteur Mario Carrier, il faut aussi tenir compte d'autres facteurs, comme l'implantation progressive du bâton télescopique à compter de 2007 et le changement de certains protocoles. «Quant à l'utilisation de l'arme à feu, toujours dans des situations exceptionnelles, elle dépend toujours de concours de circonstances», dit-il. On ne peut rien en conclure, croit M. Carrier.

L'année 2011 devrait marquer un nouveau record en ce qui a trait au recours aux armes à feu par les policiers au Québec. À la fin du mois de mars, on dénombrait déjà cinq personnes tuées lors d'interventions à Laval, à Terrebonne et à Montréal. Deux mois plus tard, au lendemain de la mort de Patrick Limoges et de Mario Hamel, le ministre de la Sécurité publique, Georges Dutil, a dit avoir vérifié avec l'École de police de Nicolet s'il y aurait des améliorations à apporter à la formation des policiers sur l'emploi de la force.

- Avec la collaboration de William Leclerc