Pendant trois mois, le procès de Guy Turcotte, cardiologue accusé d'avoir poignardé à mort ses deux enfants après sa séparation d'avec leur mère, a tenu le Québec en haleine. Mais le verdict de non-responsabilité criminelle, lui, nourrit une controverse qu'apaise à peine la requête en appel déposée par le ministère public la semaine dernière. De Montréal à Trois-Rivières en passant par Québec, Gatineau et Granby, plusieurs centaines de manifestants se réuniront devant les palais de justice du Québec, samedi prochain. L' amplitude du choc Turcotte se mesure aussi à l'importance des mobilisations sur l'internet. Pour le meilleur... et pour le pire.

Laurie et Jim ont 14 ans. Plutôt que de passer l'été à vaquer aux activités des adolescents de leur âge, le jeune couple consacre ses journées et ses soirées à animer sur le réseau social Facebook la page Contre le verdict du procès de Guy Turcotte. Ouverte spontanément le jour du verdict, elle compte aujourd'hui plus de 27 700 «fans» et requiert une attention à temps plein.

«Au départ, c'était 14, 15 heures par jour. Ces temps-ci, c'est plutôt sept, huit heures», explique Laurie. Les commentaires sur la page apparaissent sans modération, et le couple, qui administre seul la page, doit veiller au bon déroulement des discussions. Ce sacerdoce illustre la détermination que la jeune fille voue à ce qu'elle nomme «la cause». «La cause» englobe, entre autres choses, une envie de réforme du système judiciaire et la protection des enfants. «C'est une vraie question, comment gérer les procès des criminels», opine Jim.

Devant le succès instantané de leur page, Laurie et Jim ont décidé d'organiser une manifestation devant le palais de justice de Montréal, le samedi 6 août. «Le but de la manifestation, c'est de demander un changement dans le système judiciaire, mais aussi de rendre hommage à Anne-Sophie et Olivier: on va laisser des toutous», explique Laurie. Plus de 1700 personnes ont déjà confirmé leur présence à Montréal. Les manifestants préparent depuis quelque temps déjà leurs affiches, à l'effigie des deux petites victimes.

Indignation

L'affaire Guy Turcotte catalyse les émotions. Sur Facebook, plusieurs pages y sont consacrées. Une pétition en ligne a recueilli, depuis le 5 juillet, plus de 7000 signatures, en plus de nourrir d'intarissables commentaires sur le verdict et le déroulement du procès. Le tout tourne parfois à la foire d'empoigne mais, malgré cela, les appétits, sur le sujet, semblent insatiables.

Chantal Rondeau a quant à elle choisi de rendre hommage à Isabelle Gaston, la mère des victimes, en diffusant sur YouTube un montage de photos de la famille au temps du bonheur, avec en fond sonore la chanson I'll Stand by You, des Pretenders. Celle qui milite pour les droits des animaux est convaincue que, dans le procès Turcotte, «quelqu'un, quelque part, n'a pas fait son travail». «J'ai suivi le procès du début à la fin à travers les médias, et le verdict ne me satisfait pas. Ça lance le message qu'on peut tuer ses enfants comme on veut. C'est inacceptable!»

Identification

Si l'affaire Turcotte fascine, émeut et indigne, c'est parce que le sentiment d'identification des Québécois avec les protagonistes de ce drame est fort. «Ça fait peur. It's too close to home, comme disent les anglophones. On peut se reconnaître dans les événements qui mènent au drame, estime Diane Pacom, professeure de sociologie à l'Université d'Ottawa. Guy Turcotte n'a pas d'excuses, a priori. Et ça, ça rend les choses encore plus insupportables.»

Diplômé en psychologie et prochainement en criminologie, Frank Castle, 29 ans, n'hésite pas à publier sur Facebook de longs commentaires inspirés par ses études. «Des Turcotte, il y en a eu, il y en aura encore. Donc c'est un bon moyen de se poser des questions sociales. C'est un véritable mouvement social qui est en marche», dit le jeune homme.

Mobilisation populaire... ou populiste

Le mouvement, incontestablement populaire, n'en reste pas moins protéiforme. Sur Facebook, certains participants ne jurent que par le rétablissement de la peine de mort. D'autres misent sur une réforme de la justice et de la sélection des jurys populaires. Les commentaires désillusionnés à l'égard des institutions ne sont pas rares. Populaire ou populiste, cette mobilisation' Laurie tranche: «Le peuple a raison. C'est le principe de la démocratie. Si le peuple n'est pas d'accord, alors il y a un problème.»

Roxane de la Sablonnière, professeure agrégée au département de psychologie de l'Université de Montréal, croit pour sa part que l'ébullition suscitée par l'affaire Turcotte annonce une réflexion en profondeur de la société québécoise. «Les gens voient que les normes dans la société diminuent. Le verdict envoie comme message que, dans le fond, l'inacceptable peut devenir acceptable. Mais il y a une limite que les gens ne sont pas prêts à dépasser, dit-elle. Il y a peut-être une question sur la normalisation de la violence à se poser. Ça va peut-être clarifier ce qu'on est, comme société.»