Alors que le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a dévoilé hier son acte d'accusation dans l'enquête sur l'assassinat de l'ex-premier ministre Rafic Hariri, un rapport «secret» des services de renseignement canadiens s'inquiète des représailles possibles du mouvement chiite Hezbollah en réaction à l'implication du Canada dans ce processus.

L'acte d'accusation de 50 pages, rendu public hier, nomme quatre membres du Hezbollah prétendument impliqués dans l'attentat du 14 février 2005 et détaille leurs rôles respectifs.

Le rapport classé «secret» partiellement censuré, obtenu par La Presse, a été rédigé en mars dernier par le Centre intégré d'évaluation des menaces (CIEM). Il est intitulé «Tribunal spécial pour le Liban: Le Hezbollah aura-t-il recours à la violence en 2011?».

Les auteurs disent s'appuyer sur «bon nombre de sources classifiées» pour tenter d'évaluer «les risques de violence inspirée par le Hezbollah après le dépôt des actes d'accusation [...]».

Ils rappellent que, même si les «instances dirigeantes du Hezbollah ont sciemment choisi de rester évasives» sur la réaction de leur mouvement politico-militaire à l'acte d'accusation, «celles-ci ont déclaré que le Parti ne demeurerait pas passif [...] et ne livrerait aucun suspect».

Dirigé par le cheikh Hassan Nasrallah, le Hezbollah, qui dispose désormais de la majorité avec ses alliés au sein du gouvernement libanais, est aussi une puissante organisation paramilitaire disposant d'un service de renseignement efficace.

De son côté, le «Canada a des intérêts considérables au Liban» et la communauté libanaise compte près de 300 000 membres au Canada, rappelle-t-on. Parmi eux, de nombreux sympathisants du mouvement.

L'exercice des analystes du CIEM consistait notamment à évaluer dans ce contexte le risque de représailles pour le Canada au Liban ou sur son sol.

Plusieurs éléments énumérés dans le document secret sont en défaveur du Canada. En premier lieu, le Canada joue un rôle actif au sein de l'instance pénale internationale chargée d'enquêter sur cet attentat et d'en juger les responsables. «Plus de 20 Canadiens siègent au TSL, y compris Daniel Bellemare, son procureur en chef», y lit-on.

«De nombreux Libanais voient les travaux du TSL comme une enquête menée par des Canadiens, puisque le représentant le plus en vue du TSL, le procureur, est Canadien», rappelle-t-on. On révèle que le Hezbollah aurait «intimidé directement des membres du TSL» en octobre 2010. Une équipe d'enquête du TSL, incluant un Canadien, «a été la cible d'une attaque» dans Dahiyeh, le fief du mouvement au sud de Beyrouth.

Classé terroriste au Canada

Autre source de tension, et non des moindres, le fait que le Canada, en plus d'être «devenu l'un des plus fidèles partisans d'Israël», ait inscrit en 2002 le Hezbollah sur sa liste des entités terroristes. Un responsable du mouvement, rencontré par le représentant de La Presse en 2006 à Beyrouth, s'était plaint de cette décision «injustifiée, prise sous la pression des Américains et des lobbies sionistes» et qui devait être «révisée». Il reprochait aussi au SCRS (Service canadien du renseignement de sécurité) de «harceler» ses partisans au Canada. Allégations reprises dans le document du CIEM.

Outre Rafic Harriri et le kamikaze, 21 personnes ont été tuées et 231 blessées lors de l'attentat spectaculaire de 2005 à Beyrouth. Selon le TSL, les quatre membres du Hezbollah accusés auraient joué des rôles variés, allant de la «supervision», à la «coordination de l'équipe d'exécution de l'assassinat».

L'ex-premier ministre Saad Hariri a demandé hier au Hezbollah de livrer ses membres impliqués dans l'assassinat de son père, farouche opposant à la mainmise syrienne sur son pays. «C'est une position qui sera saluée par l'Histoire, les Arabes et tous les Libanais» , a-t-il déclaré.

- Avec William Leclerc et l'AFP