L'une des plus importantes collections d'oeuvres d'art en Amérique du Nord vient d'être saisie dans le Vieux-Montréal à la suite de la faillite de Georges Marciano, ex-copropriétaire de Guess Jeans.

Jeudi soir et vendredi, les huissiers ont emporté des centaines de tableaux, des sculptures et des caisses de montres de luxe saisies dans l'appartement de M.Marciano, au dernier étage de l'hôtel LH, rue Saint-Jacques.

Le clou de la saisie est un diamant de 85carats d'une valeur de 16millions de dollars américains, baptisé Chloé, du nom de la fille de l'homme d'affaires. Deux Ferrari et deux Rolls Royce ont aussi été entreposées en lieu sûr. Au total, les biens saisis ont une valeur de 50 millions de dollars américains, à quoi s'ajoute un parc de 18 immeubles du Vieux-Montréal valant 80 millions.

Originaire de Marseille, en France, Georges Marciano a cofondé l'entreprise Guess Jeans en 1981. Il a vendu sa part en 1993 pour la somme de 240millions de dollars américains. En 2010, il s'est porté candidat au poste de gouverneur de la Californie.

Fuite à Montréal

Ses problèmes ont commencé en 2007 dans un litige contre d'anciens employés. Il a perdu sa bataille devant les tribunaux de la Californie en 2009. Ne pouvant se faire payer, les poursuivants l'ont mis en faillite, mais Georges Marciano s'est enfui à Montréal pour se soustraire à ses obligations, affirment des documents déposés au palais de justice de Montréal.

Le multimillionnaire a emporté avec lui son imposante collection d'oeuvres d'art, de bijoux et de voitures, en plus de se porter acquéreur de 18 immeubles dans le Vieux-Montréal, indiquent les documents du séquestre Pricewaterhouse Coopers.

Dans sa collection, on trouve des tableaux d'Andy Warhol et de Jackson Pollock, notamment. Vendredi matin, une grue a même été utilisée pour emporter les lourdes sculptures LOVE, de Robert Indiana, et Voluptuous Man on Horse, de Fernando Botero, qui se trouvaient devant l'hôtelLH. Les deux sculptures, qui valent plus de 1million chacune, faisaient partie du paysage du Vieux-Montréal, au point où les guides touristiques en avaient fait un arrêt de leur circuit.

«Je n'ai jamais vu ça. On a sorti des caisses et des caisses de montres Rolex et Cartier. Il y en avait plus que dans une bijouterie», dit Christian Bourque, de PricewaterhouseCoopers.

L'immeuble le plus imposant se trouve au 507, place d'Armes, de biais avec l'église Notre-Dame. Georges Marciano l'a payé 22millions en 2008. Les autres sont dans le même secteur, rues Notre-Dame, Saint-Paul, Saint-Jacques et de la Commune ainsi que sur la place Jacques-Cartier, notamment. Un verger a également été saisi près de Granby.

La saisie a été autorisée jeudi en fin de journée par la Cour supérieure du Québec. L'autorisation a été donnée sans que M.Marciano soit mis au courant des démarches judiciaires à Montréal, car le syndic américain craignait qu'il déplace ses biens une nouvelle fois. Jeudi soir, lors de la saisie, Georges Marciano était d'ailleurs chez lui et s'est montré surpris de l'arrivée des huissiers, nous a dit M.Bourque.

La saisie n'est pas liée à une affaire criminelle. Elle concerne strictement les démarches de ses poursuivants américains, à qui le tribunal a accordé des dommages de 260millions de dollars pour compenser les agissements de M.Marciano.

Refus de payer

En 2007, Marciano a commencé par se plaindre du comportement d'une demi-douzaine d'anciens employés. Il les a fait accuser de vol et de détournements de fonds massifs. Cependant, l'affaire s'est retournée contre lui puisque les tribunaux n'ont trouvé aucune preuve de ses accusations, selon les documents de cour. Les ex-employés ont obtenu des indemnités pour diffamation, stress et «désordre émotif».

Refusant de payer, Marciano a été mis en faillite. Il a toutefois multiplié les démarches pour éviter de se plier aux jugements. Il a changé 16fois d'avocats en Californie, a refusé de produire un état détaillé de ses biens et de se présenter à l'assemblée des créanciers. Il aurait même produit, pour se défendre, une montagne de documents non pertinents qui, selon le juge, «relevaient de la paranoïa et de l'illusion», a écrit Les Affaires en 2009.

En mars 2011, le tribunal américain a nommé le syndic qui a entrepris au Canada les démarches qui ont abouti à la saisie. Le séquestre soutient que Marciano a dernièrement mis ses immeubles au nom d'une fiducie albertaine pour éviter la saisie.

Les biens saisis sont entreposés en attendant que le tribunal tranche, explique Christian Bourque. Il n'est pas impossible que les dommages de 260 millions soient réduits.

Nous n'avons pu joindre M.Marciano, vendredi. «Il est en train d'essayer de comprendre ce qui se passe. Il cherche les meilleurs avocats pour se défendre», nous a dit l'un de ses amis.

- Avec la collaboration de Vincent Larouche