La gentille Andréa, qui vous écrit chaque jour depuis votre rencontre sur l'internet, est peut-être une vile voleuse. Fraude en croissance, le «stratagème de liaison amoureuse» a fait l'objet de 900 plaintes jusqu'à maintenant en 2011, selon la GRC. Un Repentignois y a laissé 98 000 $, son coeur et ses illusions.

Plus de 8,2 millions de dollars. C'est la fortune que des escrocs ont soutirée à des Canadiens, en leur faisant croire à l'amour, au cours des huit premiers mois de 2011.

«Depuis un an, ça a explosé, dit Jacques Rainville, sergent d'état-major à la GRC et sous-officier responsable du Centre opérationnel de lutte contre le télémarketing frauduleux (COLT). Dans le jargon, on appelle ça le "romance scam" ou le "love scam". Le stratagème de liaison amoureuse. C'est quelque chose qui est de plus en plus commun.»

Plus de 900 plaintes à ce sujet ont été reçues cette année au Centre antifraude du Canada, géré notamment par la GRC. Déjà, les victimes d'escroqueries sentimentales ont craché 1 million de plus que l'an dernier... et 2011 n'est pas fini.

«Ça arrive réellement: ça m'est arrivé, témoigne Benoit Caron, 69 ans, de Repentigny. J'ai été arnaqué pour 98 000$.» Une histoire simple au départ: après avoir pris sa retraite du camionnage, M. Caron a acheté un ordinateur. «Je suis un gars qui vit seul, je voulais rencontrer quelqu'un», explique-t-il.

Inscrit à un site de rencontres, son profil attire... des Africaines. «Des femmes jeunes et jolies, admet-il. Je leur disais mon vrai âge, elles me répondaient que l'amour n'a pas d'âge.» Des courriels s'échangent chaque jour. «C'était toujours des gentillesses. Toujours: "Je suis sincère, je suis franche." Elles avaient toutes les qualités», se souvient-il.

En mars 2009, le retraité décide de payer le voyage à Andréa, de Côte d'Ivoire. Il envoie de l'argent par l'entremise de Western Union, pour le passeport, le visa, le billet d'avion. Puis, pour la dot et le mouton qu'elle fait sacrifier avant de partir. En route vers l'aéroport, la belle se fait voler. M. Caron repaie tout... avant d'apprendre par une autre femme qu'il se fait rouler.

Coup de chance: cette deuxième correspondante rêve de venir au Canada. Et jure qu'elle est honnête, avec un culot ahurissant a posteriori. «Elles m'ont enjôlé dans la romance, reconnaît M. Caron. C'est moi, l'imbécile.»

Patienter un mois ou deux avant d'escroquer

«Les fraudeurs jouent beaucoup avec l'émotion, souligne le sergent Rainville. Le stratagème ne se fait pas sur une période courte. Les gens vont s'écrire souvent, se parler souvent. Ceux qui veulent rencontrer quelqu'un baissent leur garde.»

Peu importe le scénario, la princesse ou le prince charmant en vient à demander de l'argent. «Ils disent à la victime: "J'aimerais bien aller te voir, mais ma mère est malade ou j'ai eu un accident, j'ai besoin de 2000$ ou 3000$, après je pourrai y aller", décrit le policier. C'est fait à un moment stratégique. Il y a des paroles qui se disent, c'est tellement touchant... À un moment donné, on n'a pas le choix d'aider. Je ne blâme pas les gens qui embarquent là-dedans.»

Yves, cinquantenaire français qui s'est fait escroquer par une autre Ivoirienne prénommée Marina, a monté un site internet décrivant son abracadabrante histoire. «C'est un odieux remake des Mystères de Paris, saucissonné d'un peu de Lolita», illustre-t-il. «J'ai eu beaucoup de mails de gens dans des situations similaires», a-t-il assuré à La Presse.

Faux policiers, faux avocats

Quant à M. Caron, ses déboires ont continué. Il a été joint par un policier qui a offert de retrouver les escrocs - et de le rembourser - contre salaire. Par le ministère des Finances ivoirien, des avocats, Western Union, des banques, des escouades de cybercriminalité, même Interpol, au téléphone ou par courriel. Tous des faux, évidemment. Qui ont réussi à l'escroquer davantage, en faisant miroiter un dédommagement. Et en envoyant de faux documents officiels et de faux articles de journaux locaux.

«J'ai eu tous les faux, il n'y a rien de vrai, constate l'homme. J'espérais toujours récupérer mon argent. Eux, ils me volaient, me volaient. Maudits voleurs, maudits escrocs, maudits arnaqueurs.» Encore la semaine dernière, M. Caron a reçu un appel d'un supposé avocat parisien prêt à plaider sa cause.

Personne d'autre ne l'aide. Le Repentignois a porté plainte à la police locale, qui l'a dirigé vers la GRC... qui lui a envoyé des brochures. «Je ne comprends pas que la police ne puisse pas mettre un terme à ça», souligne-t-il.

Au total, le «pigeon» - c'est le surnom donné aux victimes par les escrocs - a fait 43 virements d'argent en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso, par l'entremise de Western Union, Money Grant et Money Transfert, entre 2009 et juin 2011, comme le prouvent ses reçus. Des pertes de presque 98 000$.

«Je travaillais de 15 à 18 heures par jour dans mon camion pour ramasser cet argent-là pour ma retraite, dit M. Caron, désemparé. Je suis à peu près sûr qu'il est perdu à jamais. Ces gens-là n'ont pas de coeur.»

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La GRC quasi impuissante

Dans les minutes qui suivent le transfert de fonds à l'étranger, «l'argent est perdu, dit Jacques Rainville, sergent d'état-major à la GRC. On n'arrive pas à retrouver cet argent, c'est trop tard».

La GRC retrouve peu d'escrocs sentimentaux. «On en attrape, mais ce sont des groupes organisés, qui changent de nom et d'adresse souvent», indique le policier. Quand la fraude vient de l'étranger, «ça rend la tâche encore plus difficile, souligne-t-il. Il faut trouver de nouvelles façons d'essayer de combattre ces crimes-là».

Seule possibilité pour les victimes: rapporter leurs déboires au Centre antifraude du Canada. «Peut-être serons-nous en mesure d'identifier quelque chose», avance M.Rainville.

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Hausse des cas au Canada

Pendant les 8 premiers mois de 2011, 914 plaintes de fraude sentimentale ont été reçues par la GRC.

C'est presque autant qu'en 2010 (il y avait eu 961 plaintes) alors qu'il reste quatre mois cette année.

Nombre total de victimes en 2011: 615

65% des victimes sont des femmes

La majorité des victimes ont de 40 à 59 ans

Somme escroquée en moyenne: 13466$

Total des sommes escroquées: 8,28 millions de dollars

Source: Kent R. Read, Centre antifraude du Canada, GRC