Le coût des mesures qu'envisage le gouvernement Harper en matière de justice criminelle continuera de grimper, reconnaît le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu - et la possible construction d'au moins un supercomplexe carcéral près de Kingston, en Ontario, risque d'y être pour beaucoup... Il reste à savoir de combien.

Tandis qu'à la Chambre des communes, Ottawa reste vague quant à la facture que les contribuables devront éponger pour son nouveau projet de loi omnibus en matière de justice criminelle, le sénateur Boisvenu a donné un peu plus de détails sur la voie que suivra son gouvernement, lors d'un entretien téléphonique avec La Presse.

«Lorsqu'on parle exclusivement des mesures que l'on a mises de l'avant, je maintiens le même chiffre que le printemps dernier: 2,7 milliards de dollars», a-t-il déclaré. Un total que les partis de l'opposition croient grossièrement sous-évalué.

«Mais c'est sûr qu'à ça vont s'ajouter des sommes additionnelles pour mettre nos équipements aux normes, pour changer les pénitenciers qu'il faut fermer... Donc c'est certain que si on prend le total, on va dépasser 2,7 milliards. Ça, c'est évident», a indiqué le sénateur connu pour ses positions tranchées en matière de défense des droits des victimes et de leurs proches.

Superprisons

Selon le sénateur, les prochaines étapes de la réforme sur la loi et l'ordre du gouvernement Harper se trouvent principalement dans deux rapports, dont l'un, intitulé Une feuille de route pour une sécurité accrue, a soulevé certaines inquiétudes au moment de sa conception.

En avril 2007, l'ancien ministre de la Sécurité publique Stockwell Day a annoncé la création d'un comité pour examiner les possibles changements à apporter au système carcéral canadien. Ce comité était présidé par Robert Sampson, ancien ministre des Services correctionnels dans le gouvernement ontarien de Mike Harris. À ce titre, il avait été le premier à privatiser une prison canadienne dans le nord de la province, une expérience abandonnée par le gouvernement libéral suivant.

Terminé en six mois, le rapport de près de 300 pages recommande entre autres «la construction d'un nouveau type de complexe pénitentiaire régional», des superprisons qui regrouperaient tous les services pénitentiaires d'une région dans un seul vaste établissement.

Une évaluation des coûts menée à l'époque par la firme Deloitte avait examiné le scénario de la construction d'un complexe carcéral en Ontario, en partenariat avec le privé, pour remplacer la vieille prison de Kingston et des établissements voisins. «Il est possible que l'analyse penche excessivement vers le maintien du statu quo», a conclu l'examen de la firme comptable, qui a néanmoins suggéré l'adoption d'approches plus novatrices.

La feuille de route contenait en outre plus de 25 pages de recommandations, dont celle de rallonger la journée de «travail» des détenus de 8 à 12 heures, mesure jumelée à la mise sur pied d'un programme intensif de réhabilitation misant sur l'éducation et l'acquisition de compétences. Autre recommandation, déjà suivie en partie par le gouvernement Harper, celle d'«éliminer le régime de libération d'office et la procédure d'examen expéditif [...] par un régime de libération méritée».

«C'est vraiment là-dessus qu'on planche, a précisé Pierre-Hugues Boisvenu. Le rapport a été déposé en 2007 et il y a eu peu de progrès là-dedans, à cause de la situation du gouvernement minoritaire, et le coup de barre qu'il faut donner, c'est un coup de barre très costaud. Mais là, le fait qu'on soit majoritaires, je pense qu'on va aller à la planche là-dedans.»

Mais au ministère de la Sécurité publique, on continue à en dire le moins possible. «Il n'y a aucun plan approuvé pour construire de nouvelles prisons», a-t-on répondu au bureau du ministre Vic Toews. Le gouvernement continue également à refuser de divulguer un récent rapport intitulé Stratégie de logement à long terme pour les pénitenciers fédéraux, qui tracerait la voie à suivre dans ce domaine pour les prochaines années. «Secret du cabinet», a-t-on justifié.

Combien?

Combien la mise en place de ce train de mesures coûterait-elle? «On vérifie encore nos calculs», a indiqué Pierre-Hugues Boisvenu. Selon lui, Ottawa en est toujours à départager la part du fédéral et celle des provinces dans le fardeau financier que les contribuables devront supporter en raison du durcissement de la justice criminelle. «C'est ça qu'on est en train de regarder, a-t-il déclaré. Et ça, c'est beaucoup plus complexe. Il se peut qu'on arrive à un chiffre plus élevé.»

Notons par ailleurs que des 2,7 milliards évoqués par le sénateur Boisvenu pour le coût du projet de loi omnibus, on trouve une somme de 2,1 milliards destinée à un autre projet de loi: C-25, adopté il y a près de deux ans. Or, selon le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, C-25 coûtera plutôt 5 milliards à Ottawa en cinq ans, et potentiellement plus pour les provinces, pour un total de 10 milliards...

Rappelons également que la divulgation des coûts du programme en matière de criminalité du gouvernement Harper était au centre de la décision de l'opposition de déclarer le gouvernement coupable d'outrage au Parlement et de déclencher des élections, au printemps dernier.