Mario Hamel, tombé sous les balles de la police au centre-ville de Montréal le 7 juin, était connu des policiers comme sans-abri qui avait des problèmes de santé mentale, mais surtout comme petit revendeur de drogue travaillant sous une dure pression, a appris La Presse de plusieurs sources.

Certains de ceux qui le côtoyaient se demandent aujourd'hui si ses déboires dans cet univers sans pitié ont pu faire craquer le fragile quadragénaire, qui était en crise lorsque les policiers ont tenté de l'arrêter le jour du drame.

C'était pour lui un véritable emploi. Il se présentait tous les matins, avant 8h30, devant un immeuble de la rue De Bullion, près de la rue Sainte-Catherine, connu de la police comme un centre de ravitaillement en marijuana pour une organisation criminelle. Hamel, 40 ans, revendait de la drogue et des cigarettes de contrebande selon un horaire bien établi.

Dans un rapport daté de l'an dernier que La Presse a obtenu, un enquêteur dit avoir été informé que la drogue est cachée dans cet immeuble. Les policiers ont même obtenu un mandat de perquisition pour y faire des saisies, mais ils ne l'ont pas exécuté.

Le Service de police de la Ville de Montréal refuse de commenter tout ce qui touche le dossier de Mario Hamel avant la fin de l'enquête de la Sûreté du Québec sur cette affaire. Mais une source policière confie que le trafic à cet endroit semble impossible à éradiquer complètement.

«Ils ne peuvent rien faire»

L'immeuble est fréquenté depuis des années par des criminels notoires, notamment Denis Thouin, 73 ans, vieux routier qui avait été arrêté avec le caïd Richard Blass en 1969. Thouin a été arrêté à proximité de cet immeuble en juillet 2010. Condamné pour la possession d'un revolver Colt Cobra chargé à bloc, il est incarcéré à la prison de Cowansville, où La Presse l'a joint.

«Les policiers sont tannés de porter des accusations pour le pot alors que c'est presque légalisé partout. Ils ne peuvent pas amener tous ces gars-là à la cour. Ça a toujours existé, ils ne peuvent rien faire», dit-il pour expliquer la persistance du commerce à cet endroit.

Denis Thouin aimait beaucoup Mario Hamel, «un des gars les plus fins sur la Terre», selon lui. Il dit avoir tenté de le garder à l'écart du trafic de drogue.

«Je ne l'aurais pas laissé vendre. Il avait des enfants. Il avait trop de classe pour ça. Quand tu as des principes de criminel, tu ne touches pas aux femmes, aux vieillards, aux gens qui sont démunis. Ces gars-là ont besoin de soins. Et dans les prisons, il n'y a pas de soins de santé mentale», souligne-t-il.

Après l'arrestation de Thouin, certains patrons ont commencé à faire travailler Mario Hamel comme revendeur. Trois revendeurs et un client de l'organisation confirment qu'il travaillait dans le «quart» du matin.

«Ils engagent du monde comme Mario Hamel. Ils prennent du monde vulnérable», explique un client de l'organisation, qui décrit le défunt comme un «bon diable, gentil, doux».

À l'ancien lieu de travail de Mario Hamel, un journaliste de La Presse a pu constater que le commerce de marijuana et de cigarettes est toujours florissant. À toute heure du jour, les clients se succèdent dans un rapide va-et-vient. La Presse a assisté à quatre transactions en 10 minutes à peine.

Le commerce lui-même semble impossible à déloger, ce qui n'empêche pas les petits revendeurs d'avoir affaire à la police. Mario Hamel se retrouvait dans des positions difficiles. Les profits allaient aux dirigeants de l'organisation. Lui, petit salarié au bas de l'échelle, était le premier à avoir des problèmes avec les policiers. Lorsqu'on lui confisquait de la drogue, ses patrons lui demandaient des comptes.

Au moment de sa mort, Mario Hamel avait une cause pendante au tribunal pour possession de marijuana. Mais selon nos sources, il avait eu plusieurs autres démêlés avec la police.

«J'ai vu les policiers l'arrêter et saisir la drogue au moins deux fois. Il devait rembourser, et ça le mettait en maudit», explique le client.

Un des revendeurs confirme: «Je l'ai vu se faire faire les poches trois fois (par des policiers)», dit-il.

Une fortune à rembourser

Mario Hamel pouvait ainsi se retrouver forcé de rembourser des centaines de dollars au crime organisé. Une fortune, pour un sans-abri.

«Disons que si tu n'as pas remis l'argent à ton supérieur, ça te met beaucoup de pression», raconte un autre ancien collègue du défunt.

Ajoutée à ses problèmes de santé mentale, à ses problèmes familiaux, aux difficultés qu'il avait à voir ses quatre enfants, cette pression était dure à supporter pour celui qui s'était retrouvé à la rue après une dépression et qui habitait dans une résidence de l'accueil Bonneau.

Le matin de sa mort, Mario Hamel avait perdu la carte. Il déchirait des sacs d'ordures et vandalisait des véhicules avec un couteau à l'angle des rues Sainte-Élisabeth et Sainte-Catherine. Des policiers montréalais ont tenté de le raisonner en l'appelant par son nom, sans succès. Peu avant 7h, à l'angle de la rue Saint-Denis et du boulevard René-Lévesque, les agents ont ouvert le feu. Mario Hamel est mort, tout comme Patrick Limoges, un employé de l'hôpital Saint-Luc victime d'une balle perdue.

Au fond de sa prison, le vieux Denis Thouin a été saisi d'effroi en apprenant la mort du sans-abri. «Je n'arrive pas encore à y croire», laisse-t-il tomber. Il dit espérer que toute la lumière sera faite le plus vite possible. Pour l'instant, la SQ poursuit son enquête.

Les anciens collègues revendeurs de Mario Hamel, eux, doutent de l'issue du processus. «La vraie histoire ne va jamais sortir, et je vais te dire pourquoi: parce que tout le monde s'en câ... de ce qui se passe dans la rue», déplore l'un d'eux, le regard perdu au loin.