Le Comité de déontologie policière blâme un policier de Montréal pour avoir utilisé un pistolet électrique six fois en moins d'une minute contre Quilem Registre, mort à l'hôpital quatre jours plus tard.

Dans une décision qui n'a pas encore été rendue publique, mais que La Presse a obtenue, le Comité conclut que l'agent Yannick Bordeleau a «abusé de son autorité, en utilisant une force plus grande que celle nécessaire pour accomplir ce qui lui était permis de faire».

Son collègue Steve Thibert est aussi blâmé pour ne pas «avoir respecté l'autorité de la loi en n'intervenant pas lors de l'utilisation abusive du DAI (pistolet électrique) par l'agent Bordeleau».

Le 14 octobre 2007, dans le quartier Saint-Michel, les deux agents ont voulu interpeller M. Registre parce qu'il avait omis de faire un arrêt obligatoire au volant de sa voiture. Le conducteur de 38 ans a refusé de s'arrêter et a heurté trois voitures garées sur la 23e Avenue avant de stopper sa course.

Les policiers ont alors remarqué que le conducteur, toujours dans sa voiture, était intoxiqué et agité. L'agent Thibert a crié «Taser! Taser!» à son collègue, qui retenait l'homme, la main appuyée sur sa poitrine, pendant que ce dernier lui donnait des coups de pied.

Selon les deux agents, M. Registre avait les symptômes d'une personne atteinte de «delirium agité». L'agent Bordeleau a estimé que la suggestion de son collègue de se servir du pistolet électrique était «idéale dans les circonstances», peut-on lire dans la décision de 27 pages du tribunal administratif.

L'agent Bordeleau a donné une première décharge. «N'aurait-il pas été plus convenable pour les policiers de sortir M. Registre de sa voiture et de le contrôler immédiatement? se demande l'auteur de la décision, Me Richard W. Iuticone. Bien que ce moyen de contrôle s'imposait, le Comité donne le bénéfice du doute à l'agent Bordeleau quant à la décision qu'il a prise de déployer le DAI (pistolet électrique) une première fois sur M. Registre.»

Les cinq autres décharges étaient «exagérées», conclut toutefois le Comité. Dès la première décharge, M. Registre est tombé au sol, à plat ventre, les mains sous lui. Les policiers n'ont pas bougé. Or, ils savaient que la contraction musculaire provoquée par la décharge dure cinq secondes. «Donc, assez de temps pour eux, étant à quelques pieds de M. Registre, pour se jeter sur lui, lui saisir les bras et lui passer les menottes», conclut le Comité.

«L'agent Bordeleau s'est approché de M. Registre seulement après la cinquième décharge, se contentant, pendant les deuxième, troisième et quatrième décharges, de crier à M. Registre de lui montrer ses mains», relève le Comité.

Le tribunal souligne à grands traits le témoignage d'un expert en utilisation de la force de l'École nationale de police, Bruno Poulin, selon qui une personne en «delirium agité» ne peut pas comprendre les ordres d'un policier.

Le Comité se dit aussi «troublé» par la lenteur de réaction de l'agent Thibert, qui s'est approché de Registre «seulement pendant la deuxième décharge» et ne l'a neutralisé physiquement qu'après la quatrième décharge.

Au moment de son arrestation, Registre était sous l'influence de l'alcool et de la cocaïne. Comme c'est l'usage, il a été transporté à l'hôpital. Il a perdu connaissance dans l'ambulance. Son état s'est rapidement détérioré, au point où il a dû être opéré quatre fois. Il est mort le 18 octobre.

Au terme de son enquête, en août 2008, la coroner Catherine Rudel-Tessier avait conclu que les décharges de pistolet électrique n'étaient pas suffisantes pour causer la mort de M. Registre, mais qu'elles y avaient «possiblement contribué». Il a reçu en tout six décharges pour un total de 300 000 volts en moins d'une minute. Il avait le foie, le côlon et l'intestin grêle nécrosés.

L'an dernier, la succession de Registre a intenté une poursuite civile contre la Ville de Montréal et les deux policiers en cause. Elle réclame 500 000 $. La cause est toujours devant les tribunaux.