Mustapha Krer, Canadien d'origine libyenne qui a révélé hier avoir été interrogé par des agents du SCRS alors qu'il était dans les geôles de Kadhafi en Libye, était déjà dans la ligne de mire de la police française à la fin des années 90 pour ses liens supposés avec la cellule islamiste de Montréal et trois groupes terroristes, a découvert La Presse.

C'est Human Right Watch (HRW) qui a dévoilé hier l'histoire «profondément troublante» de Mustapha Krer, détenu en Libye de 2002 à 2010. Cette affaire, qui a des similitudes avec ce qu'ont vécu Maher Arar et Omar Khadr, prouverait l'existence d'une collaboration entre le Canada et le régime de Khadafi, connu pour son recours à la torture.

L'ex-Montréalais affirme que des agents du Service canadien du renseignement de sécurité l'ont interrogé environ trois fois de 2003 à 2005. À une occasion, sept agents canadiens l'auraient questionné pendant plus de sept heures avec la collaboration d'agents libyens.

Mais le nom de Krer avait attiré l'attention depuis plusieurs années déjà.

À la fin des années 90, des enquêteurs français avaient identifié Mustapha Mohamed Krer, alias Abu al-Fadl al-Libi, né en 1965 en Libye, comme «membre dirigeant du Groupe islamiste combattant libyen (GICL) au Canada [...] proche des autres groupes activistes islamistes comme la Jamaa al-Islamiya égyptienne, le Front islamique tunisien et le Groupe islamique armé algérien».

C'est ce qu'on peut lire dans un procès-verbal rédigé le 3 juillet 2000 par un commandant de police française, qui passe en revue le contenu du carnet d'adresses d'un autre Montréalais, Abdallah Ouzghar.

Le carnet a été saisi en 1999 par les policiers canadiens à la demande de leurs homologues français dans le cadre d'une vaste enquête sur un réseau terroriste aux ramifications internationales. Ouzghar a été condamné par la suite en France pour son appartenance à cette cellule islamiste. Il est revenu récemment au pays après avoir purgé sa peine.

Ce procès-verbal a été produit en cour à Montréal dans le cadre d'une poursuite qui oppose actuellement le gouvernement canadien à un autre Montréalais lié à plusieurs membres de ce groupuscule d'activistes islamistes.

Ciblé aussi par la CIA

Selon HRW, Krer a quitté le Canada en 2002 pour Tripoli après avoir obtenu l'assurance qu'il n'y serait pas inquiété, mais il a été arrêté dès sa descente d'avion. Il n'aurait jamais été torturé en présence des agents du SCRS, mais, toujours selon HRW, ces derniers ne pouvaient ignorer qu'il était victime de sévices. Krer aurait été frappé à coups de câble et confiné pendant quelques jours en pleine chaleur dans une «boîte en acier» exiguë.

Au début du mois de septembre, le quotidien britannique The Gardian, qui a eu accès à des centaines de documents secrets abandonnés dans un bâtiment officiel lors de la chute de Tripoli, a révélé que la CIA «avait un intérêt particulier» pour Krer en raison de son statut de «dirigeant» du GICL, mouvement «ayant possiblement des liens avec Al-Qaïda». «La CIA, qui voulait en savoir plus sur lui et ses complices, avait envoyé à la Libye une liste de 59 questions» à lui poser, écrit The Guardian.

Mustapha Krer a été libéré en janvier 2010 à la suite de l'intervention de l'un des fils de l'ex-dictateur libyen, Saïf al-Islam.

Le SCRS refuse de confirmer ces allégations, tout comme l'existence de relations avec les services libyens. Dans un courriel adressé à La Presse, il assure toutefois se «fonder toujours sur les lois applicables [...] et des politiques internes rigoureuses pour échanger des informations avec des services étrangers. Ainsi, il évite d'être directement ou indirectement complice de mauvais traitements contre une personne.»

La porte-parole Tahera Mufti signale aussi «la récente entrevue que M. Krer a accordée à un quotidien et au cours de laquelle il a expliqué en détail son rôle au sein du GICL, organisation inscrite sur la liste des entités associées à Al-Qaïda du Comité 1267 des Nations unies».