Québec créera un Bureau de surveillance des enquêtes policières, composé de civils et doté de tous les pouvoirs nécessaires pour encadrer les enquêtes sur des événements graves impliquant des policiers, a appris La Presse.

Le projet de «Loi concernant les enquêtes policières indépendantes» sera déposé vendredi à l'Assemblée nationale, par le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil.

Le projet de loi vise à corriger un système dont la crédibilité et l'impartialité ont été mises à mal par de nombreuses affaires, dont la mort de Fredy Villanueva, tombé sous les balles d'un policier montréalais en 2008.

Le Bureau s'assurera que les enquêtes des policiers sur leurs confrères soient réalisées selon les règles, afin de dissiper toute perception de favoritisme des enquêteurs envers leurs collègues policiers.

Un directeur à la surveillance policière sera désigné par le Conseil des ministres. On s'attend à ce qu'il s'adjoigne de six à dix personnes, tous des civils, sans liens passés avec des corps policiers.

L'enquête sur le terrain continuera d'être menée par des policiers. Par souci de transparence, elle sera confiée à un corps policier différent de celui de l'agent impliqué dans l'incident, comme c'est le cas actuellement.

Les membres du Bureau de surveillance auront les pouvoirs dévolus aux corps policiers; ils pourront par exemple se rendre sur le lieu des événements et exiger que l'on sécurise la scène de crime.

De plus, ils pourront s'assurer que les interrogatoires soient réalisés dans les délais prescrits - dans l'affaire Villanueva, les deux policiers ont été interrogés après un long délai, ce qui a pu donner l'impression que leurs dépositions avaient été coordonnées.

Une victoire pour les policiers

Le maintien du système actuel constitue une victoire pour les policiers de la province, qui refusaient que les enquêtes soient directement confiées à une escouade civile, comme l'a recommandé la protectrice du citoyen, en février 2010.

Le projet de loi s'inspire plutôt du modèle proposé par André Fiset, avocat de l'Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ), dans un rapport publié en mai et intitulé Qui doit policer la police?

Selon ce rapport, le système québécois n'est pas parfait, mais il est meilleur que d'autres, à commencer par celui de l'Ontario, régulièrement cité en exemple au Québec.

Le rapport descend en flammes celui de la protectrice du citoyen, qui a recommandé la création d'une escouade composée en majorité de civils pour enquêter sur la police. Ce modèle, inspiré de celui de l'Ontario, serait coûteux et inefficace, selon l'APPQ.

Mais selon la protectrice du citoyen, Québec n'a plus le choix de réformer un système en faillite.

Dans son rapport, Raymonde Saint-Germain constate l'échec du système actuel, qui ne permet pas de s'assurer de l'impartialité des enquêtes menées sur les policiers.

Le fait qu'une enquête soit menée un jour par la Sûreté du Québec (SQ) sur des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et, le lendemain, par le SPVM sur des agents de la SQ «mine, à la base même, l'indépendance de ces enquêtes», souligne le rapport.

Au Canada, plusieurs commissions d'enquête menées après des bavures policières ont conclu qu'il n'était pas souhaitable de confier à un autre service de police les enquêtes criminelles portant sur des incidents graves impliquant des policiers, puisque cela ne permet pas de garantir leur indépendance.

Au pays, la tendance générale est d'ailleurs à la création d'organismes indépendants pour réaliser les enquêtes criminelles sur des événements impliquant des policiers. Outre l'Ontario, le Manitoba, l'Alberta et la Colombie-Britannique se sont dotés de tels organismes au cours des dernières années.

Les policiers plus expérimentés?

Denis Côté, président de la Fédération des policiers municipaux du Québec, n'a pas voulu confirmer avoir été consulté par le ministère de la Sécurité publique dans ce dossier - une information obtenue à Québec.

Mais à quelques heures de l'annonce, la fermeté de ses commentaires ne laissait pas de doute sur les orientations adoptées par Québec.

«La Fédération a toujours tenu mordicus à ce que les enquêtes soient conduites par des policiers. On est conscients qu'il y a une crise de confiance du public envers ces enquêtes, le gouvernement pourrait bien travailler sur le plan de la perception. Mais le travail devra continuer à être fait sur le terrain par des policiers. Il n'y a pas de civils qui maîtrisent le type d'intervention qu'on fait», tranche-t-il.

M. Côté a approuvé à l'avance la création du nouveau Bureau. «Une fois que l'enquête est menée, on n'a pas d'objection à ce que ce soit regardé par un autre organisme.»

Les policiers soutiennent que les enquêtes, complexes, doivent être menées par des policiers expérimentés. Des civils n'y seraient pas à leur place.

Mais le projet de loi du ministre Dutil risque de décevoir les critiques du système actuel, qui militent pour que les policiers cessent d'enquêter sur leurs confrères.

Comme la protectrice du citoyen, la Ligue des droits et libertés réclame une formule d'enquête indépendante. «Il faut briser ce cercle vicieux. Si des policiers ont été formés pour mener des enquêtes, les civils en sont aussi capables», croit Nicole Fillion, coordonnatrice de la Ligue et avocate. Elle juge que le ministre de la Sécurité publique est mal placé pour réformer le système. «Les derniers sous-ministres étaient tous des policiers. On pense que c'est le ministre de la Justice qui devrait piloter le dossier.»

«Les corps de police et les syndicats sont très puissants et refusent la création d'un bureau indépendant parce qu'ils perdraient la mainmise sur ces enquêtes», estime pour sa part le criminaliste à la retraite Jacques Bellemare.

Son rapport, déposé en 1988 à la suite de l'affaire Anthony Griffin, a mené à la création du Comité de déontologie policière du Québec. Aujourd'hui, Me Bellemare juge une fois de plus que le système doit être réformé en profondeur. «Le gouvernement doit prendre ses responsabilités», estime-t-il.

Le gouvernement et l'opposition péquiste discuteront la semaine prochaine des groupes susceptibles d'être entendus dans le cadre d'une consultation qui devrait être tenue avant le retour des députés à l'Assemblée nationale, à la mi-février 2012.

Beaucoup de débats en vue.

L'enquête indépendante

Une enquête indépendante (autrefois appelée «politique ministérielle») est déclenchée lors d'un événement grave au cours duquel une personne meurt ou subit des blessures susceptibles d'entraîner son décès à la suite d'une intervention policière ou de sa détention par un corps de police.

Il s'agit d'une enquête policière conduite par un autre corps de police que celui impliqué dans un événement grave afin d'éviter, par souci d'objectivité et d'impartialité, qu'un corps de police ne mène une enquête sur les agissements de ses propres membres. L'enquête indépendante tente d'établir si des éléments de preuve permettent de croire qu'une infraction criminelle a été commise par les policiers impliqués. Comme dans toute autre enquête, un rapport est ensuite soumis à l'attention du Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Une enquête indépendante peut être menée par la Sûreté du Québec, le Service de police de la Ville de Montréal ou le Service de police de la Ville de Québec.

Source: ministère de la Sécurité publique du Québec