Alors que les relations entre le Canada et l'Iran ne cessent de se détériorer, Ottawa a demandé à la GRC d'enquêter sur une firme montréalaise qui héberge les sites web d'entreprises iraniennes visées par des sanctions, a appris La Presse.

Cette nouvelle enquête s'ajoutera à celle commandée par le gouvernement sur l'hébergement de sites syriens par la même firme, iWeb Technologies, dont le siège social est à L'Île-des-Soeurs.

Cette fois, c'est du côté de l'Iran que lorgneront les policiers. Le gouvernement Harper a adopté de nouvelles sanctions contre Téhéran le 9 novembre. Elles s'ajoutent à celles déjà exercées en 2010.

La liste des entités iraniennes avec qui les Canadiens ne peuvent plus faire affaire comprend maintenant près de 350 entreprises et organismes gouvernementaux. Plusieurs sociétés privées soupçonnées de participer au programme nucléaire de la République islamique font partie du lot.

Grave menace

La liste n'a pas été dressée à la légère, selon le ministère des Affaires étrangères.

«Le Canada a adopté d'autres sanctions, parce que la dimension militaire du programme nucléaire iranien constitue une grave menace pour la paix et la sécurité internationales», explique Ian Trites, porte-parole du Ministère.

Or, selon des recherches menées par La Presse, les sites web de plusieurs entités visées par ces sanctions sont hébergés sur des serveurs d'iWeb Technologies.

C'est le cas, par exemple, de la compagnie pharmaceutique Loghman, du fournisseur d'équipements industriels Tajhiz Sanat Shayan, de l'entreprise spécialisée en soudure AMA Industrial et du fournisseur de débitmètres électromagnétiques Daghigh Farayand.

L'entreprise iWeb est-elle en infraction lorsqu'elle héberge le site d'une entreprise avec qui le gouvernement interdit de faire des affaires? Qu'en est-il si iWeb héberge indirectement le site, par exemple en hébergeant un fournisseur de service qui, lui, fait affaire avec l'entreprise compromettante?

La question est délicate. Le ministère des Affaires étrangères refuse de se prononcer sur les «cas particuliers».

«Nous avons demandé à la Gendarmerie royale du Canada de faire enquête sur ces informations afin de nous assurer que les sanctions sont respectées», a déclaré Ian Trites en réponse à nos questions sur les sites iraniens.

Les dirigeants des entreprises qui violent les sanctions canadiennes contre l'Iran s'exposent à une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans.

Un casse-tête pour iWeb

C'est la deuxième fois en un mois que le ministère des Affaires étrangères demande à la police de se pencher sur les clients d'iWeb.

La firme a récemment été montrée du doigt dans un rapport de l'École d'études internationales de l'Université de Toronto parce qu'elle hébergeait des sites internet du gouvernement syrien, frappé lui aussi par des sanctions canadiennes.

Chez iWeb, le directeur des relations publiques, Bernard Dahl, avoue qu'il est difficile pour iWeb, un des plus importants fournisseurs d'hébergement du monde, de suivre à la trace ses 25 000 clients, sans compter les grossistes et les revendeurs qui ne font pas nécessairement enquête sur chaque site web.

«Personne ne nous appelle pour nous dire ça [qu'un site web est visé par des sanctions]. On l'apprend souvent par les médias. Nous sommes en réflexion pour voir s'il y a d'autres façons de gérer ça», dit-il.

Le problème est complexe, explique M. Dahl, notamment lorsque les sites visés sont hébergés sur des serveurs aux côtés de sites légaux qui ne doivent pas être perturbés. Certains serveurs sont aussi partagés avec d'autres hébergeurs qu'iWeb ne contrôle pas.

Selon lui, les hébergeurs canadiens sont victimes de leur succès. «En devenant un des plus importants acteurs sur le marché, on devient un choix logique pour les gens», dit-il.

En croissance soutenue, iWeb compte plus de 210 employés et vient de franchir le seuil des 35 millions de chiffre d'affaires. Comme l'a révélé La Presse au début du mois de novembre, la Caisse de dépôt est un de ses principaux actionnaires. L'organisme suit d'ailleurs de près la question des sanctions contre l'Iran et la Syrie.

L'entreprise avait connu une situation semblable il y a trois ans, lorsqu'elle avait découvert des sites du groupe Hezbollah dans ses serveurs informatiques à Montréal. Elle les avait vite débranchés.

Selon nos recherches, les sites d'autres entités iraniennes visées par les sanctions seraient hébergés au moins en partie par la société torontoise Ravand Cybertech. L'entreprise ne nous a pas rappelé.