Farshad Mohammadi, ce sans-abri tué par la police de Montréal vendredi, vivait sous haute pression au moment de sa mort: des années après l'avoir accueilli comme réfugié parce que sa sécurité était menacée en Iran, le Canada menaçait de le renvoyer chez ses persécuteurs.

Selon des documents du tribunal de l'immigration obtenus par La Presse, un commissaire avait condamné M. Mohammadi à l'expulsion du pays, le 30 mai dernier, pour «grande criminalité».

Son crime: s'être introduit par effraction dans un immeuble non résidentiel du centre-ville, le 26 novembre 2008. Son avocat et son meilleur ami croient qu'il s'y était endormi. Gardé en détention préventive pour sept mois avant son procès, il a finalement écopé d'une minuscule peine d'un jour de prison.

Farshad Mohammadi était résidant permanent canadien depuis 2006. Comme il n'était pas citoyen canadien, sa condamnation a automatiquement déclenché le processus d'expulsion.

À sa comparution, on lui a assigné un représentant, car il ne semblait pas en mesure de comprendre ce qui se passait. La transcription officielle montre que lorsque le commissaire à l'immigration lui a demandé s'il avait bien été reconnu coupable d'introduction par effraction, il a répondu dans un anglais maladroit.

«Je confesse que j'avais pris des boissons alcoolisées et que j'étais saoul», a-t-il dit.

Le commissaire Louis Dubé lui a alors demandé de s'exprimer en farsi, sa langue maternelle. Avec l'aide d'un interprète, il a raconté son arrestation.

«On m'a questionné sur pourquoi j'étais là. J'ai dit que j'étais saoul. Ensuite, je me suis fait dire que je devais passer une journée en prison puis que je pouvais m'en aller. Une journée en prison et c'est la fin, jusqu'à ce que je devienne O.K.», a-t-il raconté.

Kurde persécuté

Son avocat, Me Arash Banakar, avait porté la décision en appel. C'est devant la section d'appel du tribunal de l'immigration qu'il aurait pu faire valoir des considérations humanitaires. Il était certain de gagner.

«On n'aurait pas pu le renvoyer puisqu'il était un réfugié. C'est un Kurde du nord de l'Iran, il a été parrainé par le gouvernement canadien pour immigrer parce qu'on reconnaissait qu'il était en danger», explique l'avocat.

Le meilleur ami de M. Mohammadi et les intervenants qui lui offraient un soutien à l'organisme communautaire Diogène se souviennent tous qu'il disait avoir fait la guerre avec les rebelles kurdes contre le régime iranien. Une expérience éprouvante, selon son ami.

«Les rebelles, ce n'est pas comme l'armée. Ils vivent dans les montagnes avec le stress, la pression...», a-t-il raconté dimanche.

«C'est clair que monsieur avait des problèmes de troubles mentaux et souffrait encore de certains événements traumatiques dans son pays d'origine», affirme Me Banakar.

L'avocat a tenté de rassurer son client en lui disant qu'il était sûr de gagner l'appel. Mais M. Mohammadi était terrorisé, dit-il.

«C'était un stress énorme pour lui. Juste à la mention du fait qu'il puisse perdre son statut de réfugié, il était en état de panique», se souvient l'avocat.

«Les démarches avec l'immigration, ça n'a pas été facile», confirme Bertrand Gagné, directeur de Diogène.

Locataire difficile

Cet organisme lui avait trouvé un logement modeste dans Saint-Henri, dont le loyer de 520$ était presque entièrement subventionné par le Projet Chez Soi, une initiative fédérale d'aide aux sans-abri.

Farshad Mohammadi était toutefois un locataire difficile.

«Il était violent. Mais avant tout, il était malade. Il passait la nuit à crier "Fuck Israël" ou "Fuck le Mossad", il pouvait sortir tout nu dans la rue», raconte tristement son propriétaire, Albert Sleiman.

Parce qu'il avait accumulé une dette de 215$ et qu'il avait des problèmes de comportement, le propriétaire a obtenu un jugement de la Régie du logement et fait expulser M. Mohammadi par la police et un huissier, en décembre.

«L'état de l'appartement était lamentable quand il est parti», affirme M. Sleiman.

Quelques semaines plus tard, dans des circonstances nébuleuses, M. Mohammadi a blessé un policier montréalais avec un couteau avant d'être abattu.

La Sûreté du Québec poursuit son enquête sur sa mort. Selon nos sources, les enquêteurs travaillent activement et prévoyaient interroger les deux policiers impliqués, hier.