Si les poursuites criminelles sont rarissimes lorsqu'un civil est tué ou blessé par un policier, c'est parce que les enquêteurs «ferment la plupart du temps les yeux sur de possibles négligences ou mauvaises pratiques de la part de leurs confrères».

C'est du moins l'opinion de 72% des 1000 Québécois sondés par Angus Reid pour le compte de La Presse les 11 et 12 janvier derniers. Ils sont 40% à estimer que le favoritisme est «probablement» en cause, et 32% à croire qu'il l'est «certainement».

Par ailleurs, 87% des Québécois ne veulent plus du système actuel, selon lequel les enquêtes sur les événements graves impliquant des policiers sont simplement confiées à un autre corps de police.

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La crédibilité et l'impartialité de ces «enquêtes de police sur la police» ont été vigoureusement mises en doute dans les dernières années, y compris par la protectrice du citoyen et par le coroner. D'anciens policiers et commissaires à la déontologie policière ont eux-mêmes dit avoir été témoins d'enquêtes bâclées ou carrément truquées.

Le mois dernier, le gouvernement du Québec a donc annoncé la création du Bureau de surveillance des enquêtes policières. Ses membres - des civils sans liens passés avec la police - devront s'assurer que les enquêtes sont menées dans les règles (et dans des délais raisonnables, ce qui n'est pas toujours le cas). La collecte de preuve continuera toutefois d'être menée par des policiers.

Le tiers (34%) des répondants à notre sondage sont favorables à la création d'un tel bureau. Mais 41% d'entre eux estiment qu'il vaudrait mieux écouter la protectrice du citoyen et imiter l'Ontario, l'Alberta, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse et le Manitoba. Ces cinq provinces ont créé - ou projettent de le faire - des escouades indépendantes composées en majeure partie de civils.

Chose certaine, seulement 13% des gens sont prêts à accepter le statu quo. «Si on ne change pas la façon de faire actuelle, on risque de voir un effritement de la confiance», conclut le vice-président d'Angus Reid, Jaideep Mukerji.

Manque d'information

Pourtant, la population n'est pas très au fait de la situation. Au Québec, 339 personnes ont été tuées ou blessées gravement par un policier depuis 12 ans. Après enquête, seulement trois dossiers ont abouti sur le bureau des procureurs. Or, nos répondants croyaient que les mises en accusation avaient été 10 fois plus nombreuses, c'est-à-dire qu'il y en avait eu 35 (il s'agit de la réponse moyenne, les réponses de chacun se situant entre aucune mise et plusieurs dizaines).

Informés du taux d'accusation réel, les répondants se sont faits plus critiques à l'égard des policiers. «Ça montre que les gens ont besoin d'information pour se faire une opinion. C'est la preuve qu'on a besoin d'un débat public sur la création du nouveau bureau de surveillance», dit l'avocate Nicole Filion, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés, qui milite pour que des civils enquêtent directement sur les possibles bavures policières. Elle croit que le projet de loi actuel n'accorde pas de réels pouvoirs de surveillance au nouveau bureau.

«Tout ce que le Bureau pourra faire, c'est une enquête sur l'enquête, après coup, renchérit Me Alain Arsenault, qui a représenté plusieurs victimes d'événements impliquant des policiers. Quiconque a la moindre distance arrive à la conclusion qu'il faut retirer ces enquêtes des services de police.»

«Le sondage montre qu'une bonne partie des gens sont favorables au Bureau de surveillance, rétorque le président de la Fédération des policiers municipaux du Québec, Denis Côté. Et je suis convaincu que, au fil du temps, ils seront plus nombreux à faire confiance au système et à cesser de croire qu'il y a du favoritisme. Ça ne représentera plus 72% des gens.»

Déjà, la majorité des répondants estime que la complaisance ne suffit pas entièrement à expliquer l'issue des enquêtes. Ainsi:

> 55% pensent que le manque d'effectifs empêche d'enquêter «de manière approfondie» sur les possibles bavures policières;

> 66% croient que les enquêtes ont démontré «que les policiers ont agi de la meilleure façon possible dans des circonstances difficiles»;

> 41% croient que la plupart des accusations portées contre la police étaient «fausses ou exagérées».

Fait intéressant: avant d'être interrogés au sujet du processus d'enquête sur les possibles bavures policières, les répondants manifestaient un bon degré de confiance à leur égard. Les deux tiers disaient leur faire une confiance raisonnable (55%) ou une très grande confiance (12%).

À titre de comparaison, 66% des gens font confiance aux juges, 89% aux médecins et 11% aux politiciens.

Par ailleurs, 58% des Québécois estiment que les policiers de leur municipalité ne sont pas suffisamment formés pour intervenir dans des situations délicates comme celle qui a mené à la mort d'un sans-abri à la station de métro Bonaventure, la semaine dernière.