À l'issue d'un bras de fer de près de 16 ans avec les autorités, Léon Mugesera a finalement perdu la dernière manche, lundi. Ses requêtes auprès de la Cour supérieure et de la Cour fédérale ont débouché sur des culs-de-sac et il a été renvoyé au Rwanda.

C'est le point final d'un feuilleton judiciaire entamé en 1996, qui compte pas moins de 20 000 pages de documents.

Au sortir de l'audience de la Cour supérieure, lundi matin, l'avocat de Léon Mugesera, Me Martin André Roy, n'a pas caché ses sentiments et s'est dit «amèrement déçu».

Le 12 janvier, la Cour supérieure avait accordé in extremis un sursis de huit jours à M. Mugesera. Elle a finalement estimé qu'elle n'avait pas compétence en matière d'immigration. «Ne pas décliner compétence pourrait donner lieu à un manque d'uniformité des décisions rendues, à la multiplication des procédures et au magasinage de tribunaux», a dit le juge Delorme.

Les recommandations du Comité contre la torture des Nations unies, saisi le 11 janvier par M. Mugesera, n'ont aucun effet contraignant sur le Canada, rappelle le juge.

Visages fermés, yeux rougis, la femme et les cinq enfants de M. Mugesera ont quitté rapidement le palais de justice de Montréal à l'issue de cette première audience de la journée.

Deux heures plus tard, Léon Mugesera devait comparaître devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) pour la révision des motifs de sa détention au Centre de l'immigration de Laval. Mais, coup de théâtre, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) l'a plutôt conduit à l'aéroport, où son renvoi n'était suspendu qu'à une décision de la Cour fédérale.

En milieu d'après-midi, le couperet est tombé: la Cour fédérale a refusé d'accorder un nouveau sursis à M. Mugesera. Son départ était alors inévitable.

«L'Agence reste déterminée à procéder au renvoi de M. Mugesera conformément à la loi canadienne», a dit en soirée l'ASFC, tout en refusant de divulguer de l'information sur ce départ.

Soulagement et déception

Pour les rescapés du génocide établis au Canada, l'heure est au «soulagement».

Arrivé au Canada il y a 10 ans, Philibert Muzima a assisté, en 1994, au massacre de sa famille, dont il est l'un des seuls survivants. Lui-même blessé d'un coup de machette, il espère maintenant que justice sera rendue.

«En tant que victime, j'aimerais aussi que Mugesera ait un procès juste, transparent et équitable au Rwanda, pour qu'il ne se dise pas victime», dit-il posément.

Comme lui, plusieurs dizaines de rescapés établis au Canada attendent que le Rwanda juge M. Mugesera.

«Ça va être un soulagement, et le début d'un autre feuilleton au Rwanda», croit M. Muzima.

Le retour au Rwanda de l'un des criminels les plus recherchés du pays a été accueillie avec enthousiasme par la ministre des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.

«La déportation de M. Mugesera, quoique retardée durant des décennies, est une bonne nouvelle pour un peuple commis à la justice et la réparation», a-t-elle «tweeté» en fin de journée.

Kigali a offert des «garanties diplomatiques» à Ottawa quant au respect des droits de M. Mugesera.

Ces garanties sont loin de convaincre le président du Congrès rwandais du Canada, Emmanuel Hakizimana. Selon lui, le Canada a commis une «grande erreur».

Des années de procédures

Intellectuel proche du pouvoir politique rwandais, Léon Mugesera a prononcé en 1992 un discours incitant à la haine, au crime contre l'humanité et au génocide. Il s'est réfugié peu après au Canada, mais ce n'est qu'en 1995 que les autorités fédérales ont pris connaissance de ses propos et entrepris des démarches pour l'expulser.

Pendant 15 ans, Léon Muge-sera a tenté par tous les moyens d'éviter son renvoi. Mais en 2005, la Cour suprême a donné raison au gouvernement.

Il a fallu attendre encore sept ans pour que les autorités canadiennes décident que ce penseur présumé du génocide ne risquait ni la mort, ni la torture dans son pays.

Dans les dernières semaines, Léon Mugesera s,était lancé dans une course contre la montre pour éviter l'expulsion. Il a abattu une à une ses dernières cartes, sollicitant notamment l'avis du Comité contre la torture des Nations unies. Aucune de ses démarches n'a entamé la détermination du Canada.

Plus de 16 années se sont écoulées depuis le génocide, et Léon Mugesera doit maintenant affronter la justice de son pays.