Le directeur de la recherche d'Imperial Tobacco était furieux contre l'avocat en chef de la société, qui l'obligeait à se débarrasser de rapports scientifiques sur les effets du tabac sur la santé, a-t-on appris mardi en Cour supérieure.

Ce directeur, Patrick J. Dunn, a exprimé toute sa colère contre les avocats en 1994, dans un document qui a été présenté au procès en recours collectif contre Imperial Tobacco, JTI-McDonald et Rothmans/Benson&Hedges.

British American Tobacco (BAT), société mère d'Imperial Tobacco, craignait que des rapports compromettants soient déposés devant des tribunaux. L'avocat de BAT a donc demandé à l'avocat d'Imperial, Roger Ackman, de se débarrasser de tous les rapports de BAT qui se trouvaient dans les bureaux d'Imperial à Montréal.

«Ces maudites affaires!»

Me Ackman a requis la collaboration de M. Dunn, vice-président à la recherche et au développement d'Imperial. En gros, il fallait soit détruire les rapports, soit les envoyer à BAT en Grande-Bretagne. Me Ackman avait aussi demandé l'aide d'un avocat externe, Me Simon Potter, du cabinet Ogilvy Renault.

«Débarrassez-vous de ces maudites affaires!», aurait ordonné Me Ackman à M. Dunn, selon ce que ce dernier a écrit dans son document.

«Il [Me Ackman] pense que les avocats ont le monopole des normes professionnelles et qu'ils sont eux-mêmes la loi, a protesté M. Dunn. Le fin mot de toute cette foutaise [the punch line to all this bullshit], c'est que je serai le seul à devoir témoigner en cour. Pas les avocats.»

M. Dunn estimait que ces rapports de recherche étaient essentiels à son propre travail. S'ils se trouvaient en Grande-Bretagne, il lui faudrait chaque fois attendre plusieurs jours avant de pouvoir les consulter. Il proposait donc de les archiver chez Ogilvy Renault. Son point de vue n'a pas été retenu.

Aucun souvenir

M. Dunn est mort depuis. Interrogé sur ce document, mardi, Me Ackman a dit qu'il n'en avait aucun souvenir.

Me Potter représente maintenant Rothmans dans le procès actuel. Son collègue, Me Jean-François Lehoux, a dit au juge Brian Riordan qu'il était faux d'affirmer qu'une centaine de documents avaient été détruits. Les originaux existent toujours et ils sont accessibles sur le web, a-t-il dit.

«Imperial a bel et bien détruit les documents qui étaient en sa possession, a répliqué un avocat des plaignants, Me Bruce Johnston, lors d'un entretien. Ce fait a été rendu public dans un procès aux États-Unis. Sans cela, on ne l'aurait jamais su.»

C'est grâce à ce procès américain que les rapports ont été déposés et publiés sur l'internet. Ils montrent qu'Imperial Tobacco savait depuis des années que le tabac cause la dépendance, le cancer et d'autres maladies. Pourtant, elle le niait.

«Combien d'autres documents ont été détruits et que révélaient-ils? , a demandé François Damphousse, directeur de l'Association pour les droits des non-fumeurs au Québec. On ne saura probablement jamais à quel point la compagnie a éliminé des preuves qui auraient pu servir à la cause des plaignants.»