Un important réseau de fraudeurs spécialisés dans la fabrication de faux documents a été démantelé mercredi dans la région de Montréal et en Ontario. Quelque 400 policiers ont frappé simultanément pour démasquer ces faussaires, qui utilisaient entre autres des garderies comme couverture.

Le réseau «sophistiqué» produisait de faux passeports, des permis de conduire (de plusieurs provinces canadiennes et États américains), des cartes de crédit, des cartes d'assurance maladie, d'assurance sociale et de résidents permanents.

Vu la nature du matériel falsifié, l'enquête a été menée par l'Équipe intégrée sur la sécurité nationale (EISN), constituée d'agents de la Gendarmerie royale du Canada, de la police de Montréal et de la Sûreté du Québec. «Pour l'instant, rien ne nous permet de croire que la sécurité du Canada ou d'un autre pays est menacée», a assuré le sergent Luc Bessette, de la GRC, en réponse à l'inquiétude suscitée par la production de faux passeports. Mais l'enquête est toujours en cours, d'autres arrestations sont possibles et l'étendue complète des ramifications du réseau n'est pas encore connue.

Des perquisitions ont été faites dans une quarantaine de commerces et de résidences de Montréal, de Blainville, de Laval et de la région de Toronto, et dans trois garderies de la métropole, une privée et deux CPE en milieu familial. Cinq laboratoires de fabrication de faux documents ont été démantelés, dont un aménagé dans une garderie.

Cette opération policière d'envergure, baptisée C-DEVANCER, visait l'arrestation de 32 individus, plusieurs d'origine algérienne. En fin de journée, 29 suspects avaient été épinglés et les autres étaient activement recherchés. Vingt-cinq suspects habitent au Québec, la majorité à Montréal, et six en Ontario.

Deux groupes

Le réseau était séparé en deux filières spécialisées qui entretenaient des liens. Le premier volait l'identité des gens pour fabriquer les documents tels que des cartes de crédit et des permis de conduire; ces documents étaient écoulés par la suite par des revendeurs ou utilisés pour commettre des fraudes.

Le second groupe se concentrait sur la fabrication et la revente de faux passeports, obtenus de diverses façons, le vol notamment. Les faux passeports profitaient vraisemblablement à des Maghrébins, des Haïtiens et des Tamouls, qui s'en servaient pour monter dans un avion pour le Canada; ils détruisaient parfois les faux documents en plein vol, et demandaient le statut de réfugié à leur arrivée au pays.

Environ 100 passeports ont été saisis durant l'opération. Les autorités avaient peu de détails sur le nombre de passeports produits par le réseau. «Je ne pense pas que les passeports étaient produits en très grande quantité, puisqu'ils devaient passer entre les mains de plusieurs personnes avant d'être prêts», a indiqué le sergent Bessette, qui chiffre entre quelques centaines et quelques milliers de dollars la valeur d'un faux passeport sur le marché noir.

Les policiers auraient découvert l'existence du réseau par hasard en 2006, après une inondation survenue à l'intérieur d'un des laboratoires utilisés par les faussaires, sur le boulevard Langelier. Trois laboratoires avaient été démantelés avant le début de l'opération.

Plusieurs prévenus sont des résidents permanents et certains sont sous le coup d'un avis d'expulsion. Le noyau dur du réseau était représenté par quatre personnes, soit Gérald Francoeur, 48 ans, Brahim Cheriti, 46 ans, Stéphanie Kossom, 28 ans et Khaled Bentouatou, 36 ans. Ce dernier serait le conjoint de la propriétaire de la garderie-pouponnière Bébé Lilly, dans le quartier Rivière-des-Prairies. L'endroit abritait un laboratoire de fabrication de faux documents.

Les parents venus mercredi matin y déposer leur enfant ont encaissé la nouvelle avec stupeur. «On est déçu! On ne s'attendait pas à ça ce matin. C'est vraiment plate», pestait Narjisse, flanquée de son conjoint Tarik et de leur bambin Hanza. «C'est pourtant un endroit correct», a ajouté la mère.

Des policiers de Montréal étaient sur place pour informer mais surtout rassurer les parents. «En aucun cas la sécurité des enfants n'a été menacée», a insisté le sergent Ian Lafrenière.

Parallèlement aux activités du réseau, les activités de la garderie se déroulaient rondement. D'ailleurs, les policiers ont indiqué que le réseau utilisait la garderie en dehors de ses heures d'ouverture. Une éducatrice rencontrée sur place a d'ailleurs appris en même temps que les parents l'existence du laboratoire. «Plusieurs inspecteurs sont venus ces dernières semaines ; c'était peut-être des policiers», a suggéré la jeune femme.

«C'est bête d'apprendre ça. Beaucoup de personnes voulaient louer la garderie, j'ai choisi les mauvaises. Ça me jette à terre», a pour sa part confié Serge Gouin, le propriétaire de l'immeuble où se trouve la garderie.

Même surprise chez cette autre mère, Myriam Dodard. «Ils (les propriétaires) étaient très gentils avec les enfants, très honnêtes. Mon bébé adore venir ici», a-t-elle assuré. «Ils investissaient beaucoup dans un dispositif de sécurité», a constaté une autre mère, Nathalie Marques.

Une mère estomaquée

«C'est pas vrai! C'est pas vrai!» répétait pour sa part Sophie, venue reconduire son poupon de 9 mois à une autre garderie qui a fait l'objet d'une perquisition, sur la 8e Avenue dans le quartier Saint-Michel.

Les policiers ont débarqué dans un bungalow, où est aménagée la garderie en milieu familial. La femme qui gère l'endroit n'était pas dans la ligne de mire des policiers, mais l'endroit servait vraisemblablement de couverture au réseau. Sophie, son bébé emmitouflé entre ses bras, est tombée des nues à la vue des gyrophares dans le stationnement de l'établissement. «La gardienne est une mère monoparentale de trois enfants qui travaille vraiment fort ; elle est géniale, fabuleuse avec les enfants», a soutenu la maman estomaquée. «Elle s'occupe tellement bien de mes enfants. Dès que les activités reprendront, je vais y retourner», a-t-elle ajouté.

La majorité des suspects ont comparu mercredi au palais de justice de Montréal sous plusieurs chefs d'accusation, notamment fraude, complot et fabrication de faux documents, cartes de crédit et passeports. Onze d'entre eux ont été accusés de gangstérisme. D'autres comparaîtront aujourd'hui.

La plupart demeureront derrière les verrous jusqu'à leur enquête de mise en liberté.

- Avec Christiane Desjardins

Photo: Patrick Sanfaçon, La Presse

Un des suspects a été arrêté vers 6h30 sur la rue Dupuis dans le quartier Côte-des-Neiges.