Des dizaines de résidants du Plateau Mont-Royal se sont retrouvés à la rue, en pleine canicule, après la brusque fermeture de l'immeuble qu'ils partageaient sur l'avenue de Gaspé. Au terme d'une inspection menée mardi, des agents de prévention du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) ont jugé le bâtiment non conforme aux normes de sécurité.

La vocation du 5555, avenue de Gaspé, qui abrite une quarantaine de lofts et quelques entreprises, est par ailleurs industrielle. Personne n'était donc légalement supposé y habiter, même si on accepte d'ordinaire que des artistes vivent dans leur atelier.

C'est une défectuosité dans le système d'alarme qui a au départ attiré les pompiers dans l'immeuble. Une inspection plus poussée leur a ensuite permis d'y relever plusieurs anomalies : réseau d'alarme dysfonctionnel, sorties de secours non conformes, voire inexistantes, corridors encombrés par toutes sortes de choses... «On ne pouvait pas assurer la sécurité des citoyens», a résumé Louise Desrosiers, chef de section en prévention au SIM.

Un important branle-bas et surtout une bien mauvaise surprise attendaient donc les locataires qui rentraient chez eux après le passage des pompiers, mardi. «Quand je suis arrivée, en soirée, l'accès au bâtiment était bloqué par plusieurs voitures de police. Des employés de la Croix-Rouge étaient sur place pour nous faire remplir des formulaires», a raconté Mona Varichon, qui vient tout juste d'emménager. «Il s'agit d'un loft industriel et ça me convient. Ce n'est pas parfait, mais on s'attend à ça dans ces endroits», a ajouté la jeune femme.

Selon Mme Varichon, les autorités font du zèle en condamnant l'immeuble. «Je trouve ça un peu extrême, surtout de nous donner seulement quelques heures pour récupérer nos choses», a-t-elle déploré.

Mercredi, sous un soleil de plomb, les locataires faisaient la file devant l'immeuble pour aller récupérer leurs effets. Ils pouvaient entrer en groupes de quatre et avaient une heure pour plier bagage. Des policiers et des pompiers coordonnaient les opérations.

Cette locataire est ressortie avec deux grandes valises et un panier rempli de linge sale. «Je suis arrivée chez moi à 23h30 et ma porte était cadenassée. Je suis allée chez une amie», a expliqué la jeune femme, ébranlée, qui habite son loft depuis deux ans.

Les employés des entreprises locataires de l'immeuble devaient aussi faire la queue pour récupérer des choses. «On a des clients qui attendent leurs équipements, je ne sais pas quand on va pouvoir y retourner», a dit Serge Mercier, livreur pour une entreprise de nettoyage d'équipements de restauration.

Une quinzaine de personnes ont été relogées par la Croix-Rouge ; les autres ont trouvé refuge chez des proches. Les animaux ont pour leur part été pris en charge par l'organisme Le Berger Blanc.

Les locataires ne pourront réintégrer l'immeuble qu'une fois qu'il sera jugé sécuritaire, et en conformité avec le zonage municipal.

Venu rencontrer les autorités, le propriétaire de l'immeuble était visiblement courroucé par la présence d'une poignée de journalistes. Selon nos sources, il aurait reçu sept avis le sommant d'apporter des changements à son bâtiment pour le rendre conforme aux règles de sécurité.

Selon Guillaume Simoneau, locataire depuis quelques années, cette éviction soudaine est louche. Il croit qu'il pourrait s'agir d'un stratagème de l'arrondissement pour récupérer l'immeuble. «C'est sûr qu'il y a des travaux à faire, comme dans tous les lofts industriels de Montréal, mais c'est dans les mains du propriétaire. À un moment donné, on a les mains liées.»

Du côté de l'arrondissement, le conseiller municipal du district Mile End, Richard Ryan, assure qu'il n'est pas question d'exproprier qui que ce soit. «On contraire, on veut vraiment préserver les acquis et la valeur patrimoniale du secteur», a assuré le conseiller, qui s'est d'ailleurs battu pour empêcher la construction d'un prolongement de la rue Saint-Viateur au coeur de ce qui s'appelait autrefois le «quartier de la guenille». Par ailleurs, selon M. Ryan, le propriétaire de l'immeuble ne possède pas de certificats d'occupation pour certaines des entreprises qui louent ses lofts.