Les ingénieurs du gouvernement du Québec affirment qu'ils ne sont « plus en mesure de garantir la sécurité des ponts et viaducs » en raison d'une surabondance des chantiers en activité et d'un manque d'effectifs criant pour vérifier la conformité des travaux routiers réalisés, pour l'essentiel, par le secteur privé.

Deux ans après l'effondrement du viaduc du boulevard de la Concorde, qui a fait cinq morts et six blessés, le 30 septembre 2006, à Laval, le président de l'Association des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Michel Gagnon, a affirmé à La Presse qu'« on n'a pas assez de personnel pour garantir que le réseau routier est sécuritaire ».

« Il y a deux ans, dit-il, on prévoyait dépenser environ 1,4 milliard de dollars sur le réseau routier du Québec, cette année. Après le viaduc de la Concorde et les travaux de la commission Johnson, les prévisions de dépenses sont passées à 2,8 milliards. Cette année, on va réparer environ 700 ponts. Mais pendant ce temps-là, nous, on n'a pas un ingénieur de plus. Comment peut-on vérifier tout ce qui se passe quand la plupart des ingénieurs ne visitent même plus de chantiers ? Ils n'ont plus le temps ! »

M. Gagnon a avoué hier que plusieurs de ses membres craignent de plus en plus la répétition de cas comme celui du pont de la montée Fassett en Outaouais, qui sera démoli au cours des prochains jours par le ministère des Transports du Québec (MTQ). Le pont de Fassett, rappelle-t-il, n'est pas une autre vieille structure en train de tomber en ruine après des années de négligence. C'est un pont flambant neuf, construit au coût d'un million de dollars, il y a un an, et qui n'a jamais servi.

Heureusement d'ailleurs, puisque le pont, édifié avec du béton non conforme aux exigences du MTQ, aurait pu s'écrouler comme un château de cartes parce que certaines parties de cette structure fabriquées lors de deux coulées de béton distinctes, n'adhéraient pas les unes aux autres.

« C'est un cas où le Ministère a été chanceux, raconte M. Gagnon. Un ingénieur du MTQ a remarqué des anomalies sur la structure lors d'une visite de chantier de routine, et il a prévenu la Direction des structures, qui a décidé d'analyser le pont. Dans ce cas-là, on a pu identifier le problème, mais rien, présentement, ne nous permet de croire qu'il n'y a pas d'autres ponts de Fassett parmi les 700 chantiers de ponts en cours, cette année. »

Cela dit, M. Gagnon estime qu'à plusieurs titres, les choses s'améliorent au MTQ. Depuis la publication du rapport de la commission d'enquête sur la tragédie du viaduc de la Concorde, présidée par Pierre Marc Johnson, en octobre 2007, le MTQ a mis en oeuvre plusieurs réformes internes majeures.

Les dossiers de quelque 9000 ponts sont en voie d'être numérisés, et seront disponibles à distance pour tout expert, peu importe où il se trouve au Québec. De même, souligne M. Gagnon, tous les nouveaux concepts de ponts proposés par des entrepreneurs doivent aujourd'hui être préalablement révisés par les experts en structures du MTQ. Les ouvrages construits pour le MTQ par des constructeurs privés doivent aussi faire l'objet d'une inspection complète, avant que le Ministère en prenne officiellement possession.

Ces changements sont tous en conformité avec les recommandations présentées le 18 octobre 2007 dans le rapport final de la commission Johnson.

Ces progrès sont « emballants » pour les ingénieurs du gouvernement, reconnaît M. Gagnon. Ils témoignent d'un souci réel du ministère des Transports, et de sa ministre, a-t-il tenu à souligner, d'éviter une autre tragédie comme celle du viaduc du boulevard de la Concorde. Les pratiques changent, les ressources financières sont disponibles.

« Il ne nous manque que du monde pour les mettre en pratique », dit le syndicaliste.

La Direction des structures du MTQ compte une quarantaine d'ingénieurs, précise M. Gagnon, et le Ministère compte sur moins de 200 professionnels spécialisés en ponts et viaducs, pour tout le Québec.

Au printemps dernier, lors d'une commission parlementaire, la ministre Boulet a elle-même reconnu qu'il faudra engager environ 200 professionnels pour constituer une « Agence québécoise des structures » qui est au coeur des réformes proposées par le MTQ en réponse au rapport de la commission Johnson.

Les ingénieurs civils étant très en demande, en cette période de redressement des infrastructures publiques, le recrutement est toutefois extrêmement difficile, parce que le secteur public ne peut pas rivaliser en termes de salaire et de conditions, avec les firmes privées, qui sont aussi désespérément à la recherche de main-d'oeuvre spécialisée afin de tirer profit de contrats publics, qui se chiffrent aujourd'hui en milliards de dollars.