Racistes, les Québécois? Pas vraiment en tant qu'individus. Mais le système sociojudiciaire, lui, l'est certainement. Infiltré de façon insidieuse dans tout l'appareil, le racisme devient «méconnaissable» mais agit bel et bien contre les jeunes Noirs québécois.

C'est l'une des conclusions à laquelle arrive le documentariste Ronald Boisron, dans son film La couleur du temps, qui sera diffusé le 12 octobre sur Canal D.

Lorsqu'il est débarqué d'Haïti avec ses parents dans les années 70, tout le monde se bousculait pour devenir son ami, raconte Ronald Boisron. Les temps ont changé, constate-t-il. Aujourd'hui, les Noirs comptent pour 1% de la population, mais représentent 40% des prisonniers de l'Établissement de détention de Montréal (Bordeaux).

«Comment en est-on arrivé là?» demande M. Boisron. La réponse est complexe, mais le journaliste en isole quelques éléments.

Dès la petite enfance, les Noirs sont plus souvent l'objet de signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Les jeunes Blancs sont signalés à cause de problèmes de comportement; les jeunes Noirs le sont aussi pour des questions de tenue vestimentaire ou... à cause du contenu de leur boîte à lunch, dit M. Boisron. «Des situations liées à la situation économique parentale», dit-il.

Et une perception culturelle différente? Le chercheur Léonel Bernard dit que les intervenants de la DPJ sourcillent devant un garde-manger rempli de maïs, de riz, d'haricots et d'huile végétale. Une famille qui ne respecte pas le guide alimentaire canadien? «On retient que l'enfant est mal nourri.»

Les Noirs sont aussi plus souvent interpellés et arrêtés. Profilage racial? La police ne nie pas que ça puisse arriver, même si le Service de police de la Ville de Montréal forme ses membres pour éviter qu'ils y aient recours.

Le commandant du poste de quartier 30 dans Saint-Michel, Fady Dagher, dit appliquer le «profilage criminel» plutôt que racial. Si un individu est recherché par la police, il sera arrêté, peu importe sa race. «Mais il y a la méthode aussi», dit le policier, présent hier au visionnement de presse. Il demande à ses hommes de bien connaître les jeunes du quartier et leurs familles.

Manque de leaders

Mais ce «racisme systémique» n'explique pas tout. «Il faut éviter le confort de la victimisation», dit en entrevue Ronald Boisron. La communauté noire doit faire sa part pour soutenir ses jeunes à l'école, les «garder dans le droit chemin».

Aucune femme n'a été interviewée dans le documentaire. «C'est un problème de garçons», dit M. Boisron. Dans la communauté haïtienne, comme dans la société québécoise en général, les filles restent plus longtemps à l'école, frayent moins avec le milieu criminel. Et les mères sont souvent seules, débordées par le boulot, et dépassées par les frasques de leurs fils.

Et les parents noirs sont parfois tellement honteux de voir la DPJ intervenir qu'ils abandonnent carrément leur enfant dans 6% des cas de signalement, mentionne le documentariste. Le même phénomène survient lorsque c'est la justice qui s'en mêle. Le film suit les derniers jours de prison de Kasheem, un jeune Noir qui, en cinq ans, n'a jamais reçu la visite de sa mère. «Je ne peux pas lui en vouloir, mais elle n'a pas idée de ce que ça me fait», dit-il.

Le commissaire scolaire Paul Evra souhaite voir émerger des leaders de sa communauté pour dénoncer les insultes publiques à son endroit et servir de modèle aux jeunes. Des gens comme... Barack Obama, par exemple. Le candidat au poste de président des États-Unis fait l'admiration des Noirs montréalais. «Il est parti de nulle part pour arriver là», dit Ronald Boisron. La preuve, dit-il, qu'en travaillant fort, il est possible d'aller partout.