Le gouvernement du Canada «manipule honteusement les connaissances scientifiques» pour continuer à exporter de l'amiante vers des pays pauvres tout en sachant qu'il s'agit d'une substance cancérigène. Ottawa fait ainsi preuve d'une hypocrisie mortelle; sa morale ne vaut d'ailleurs guère mieux que celle des marchands d'armes, estime le Journal de l'Association médicale canadienne (JAMC).

Dans un éditorial incisif à paraître aujourd'hui, le JAMC exhorte le gouvernement fédéral à cesser d'injecter des millions de dollars dans l'Institut du chrysotile, un «petit copain de l'industrie» situé à Montréal et «voué à promouvoir le bobard de l'utilisation sécuritaire» de cette fibre d'amiante.Le JAMC demande aussi à Ottawa de ne pas bloquer à nouveau les efforts visant à réglementer le commerce mondial de l'industrie de l'amiante, lors d'une réunion parrainée par l'ONU, la semaine prochaine à Rome.

Lors de la dernière ronde de négociations, en 2006, le Canada s'était opposé - avec succès - à l'inscription de l'amiante chrysotile à la liste des matières dangereuses de la Convention de Rotterdam. Ce traité oblige le pays exportateur à prévenir le pays importateur afin que ce dernier puisse consentir à recevoir une substance toxique en toute connaissance de cause.

Comme aucune autre démocratie occidentale n'avait appuyé le Canada, il s'était rallié à des pays moins scrupuleux comme l'Iran, la Russie et le Zimbabwe.

Cette fois encore, des bureaucrates fédéraux tenteront de protéger l'industrie de l'amiante canadienne, craint le JAMC, «même si cela signifie contribuer à la morbidité et à la mortalité reliées à l'amiante dans le monde en développement».

Au ministère des Affaires étrangères, un porte-parole a refusé hier de préciser la position que défendra le Canada, indiquant seulement que les fonctionnaires «poursuivent leurs consultations» en préparation de la réunion de Rome.

Le Canada reconnaît que le chrysotile est une substance cancérigène. Mais «dans un argument qui a des relents de la stratégie de l'industrie du tabac sur les cigarettes légères, le Canada défend le chrysotile en affirmant qu'il est plus sécuritaire que d'autres formes d'amiante», s'insurge le JAMC, qui met en doute les études financées par l'industrie.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui estime l'amiante responsable de 100 000 décès annuels dans le monde, juge que «la façon la plus efficace d'éliminer les maladies liées à l'amiante consiste à mettre fin à l'utilisation de tous les types d'amiante». C'est précisément ce que le Canada a fait - mais au Canada seulement, constate le JAMC.

«En pratique, cela pue l'hypocrisie, lit-on dans l'éditorial. Le Canada a limité l'utilisation de l'amiante afin d'éviter d'exposer les Canadiens au danger, mais il demeure le deuxième exportateur d'amiante en importance au monde. L'amiante produite au Canada est exportée dans une proportion de 96%, principalement dans des pays en développement comme l'Inde, l'Indonésie et la Thaïlande. «

«Le gouvernement du Canada semble avoir calculé qu'il est préférable pour l'industrie de l'amiante du Canada d'agir dans l'ombre comme les marchands d'armes, sans égard aux conséquences mortelles, poursuit l'éditorial. Il ne pourrait y avoir plus claire indication que le gouvernement sait que ses agissements sont scandaleux et répréhensibles.»

Le Canada soutient que ses exportations ne sont pas dangereuses lorsque convenablement utilisées. «Prétendre que l'Inde, la Thaïlande et l'Indonésie peuvent réussir à gérer l'amiante en toute sécurité lorsque les pays industrialisés ont échoué, c'est fantasmer», tranche pourtant l'éditorial du JAMC.

Cet argument est plutôt «méprisant pour les pays en émergence», estime le président de l'Institut du chrysotile, Clément Godbout, qui juge l'éditorial trop virulent pour être crédible. «Arrêtons de charrier! Nous traiter de petits copains de l'industrie, ce n'est pas fort pour des gens qui se disent scientifiques. C'est tellement gros que cela ne passe pas.»