Alors que s'ouvrait hier à Rome une réunion cruciale pour l'avenir de l'industrie québécoise de l'amiante chrysotile, le gouvernement fédéral refusait toujours de dévoiler s'il défendra ce minerai auprès des pays signataires de la Convention de Rotterdam.

Jusqu'à la dernière minute, Ottawa aura donc refusé de dévoiler sa position concernant l'ajout du chrysotile à une liste de produits hautement toxiques, où figurent déjà les quatre autres fibres d'amiante.

Joint à Rome hier, le député néo-démocrate Pat Martin, l'un des rares politiciens du pays à militer pour l'interdiction de l'amiante sous toutes ses formes, ne se faisait guère d'illusions.

«J'ai vu les membres de la délégation canadienne faire des blagues avec Clément Godbout (le président de l'Institut du chrysotile, principal lobby de l'industrie). Ils avaient l'air de très bien s'entendre, ce qui donne à penser que nous sommes foutus», a commenté M. Martin au terme de la première journée de la réunion, qui se poursuit jusqu'à vendredi.

Lors de la dernière ronde de négociations, en 2006, le Canada s'était opposé avec succès à l'inscription du chrysotile sur la liste des produits toxiques de la Convention de Rotterdam. Un comité d'experts internationaux - dont des scientifiques de Santé Canada - avait pourtant recommandé l'ajout du minerai cancérigène à cette liste rouge.

Le Canada est l'un des plus gros producteurs de chrysotile au monde. Concentrée au Québec, l'industrie génère 700 emplois, dans des mines d'Asbestos et de Thetford Mines. Environ 95% de la production est exportée, surtout dans les pays du tiers-monde.

Malgré les pressions croissantes des médecins, scientifiques et militants des droits de l'homme, Ottawa devrait donc continuer à faire la promotion du chrysotile -un minerai interdit en Europe et dans la plupart des pays industrialisés. L'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation internationale du travail prônent toutes deux une interdiction totale.

L'acharnement du Canada s'explique peut-être par le fait qu'il «craint d'être poursuivi en justice s'il admet que le chrysotile est un produit dangereux», avance Kathleen Ruff, coordonnatrice de l'Alliance pour la Convention de Rotterdam, un lobby antiamiante. «Depuis des années, le Canada vend du chrysotile en assurant qu'on peut l'utiliser sans problème.»

La Convention de Rotterdam a été mise sur pied il y a 10 ans par l'ONU pour empêcher que des pays occidentaux n'écoulent des produits dangereux vers des pays du tiers-monde. Les 39 produits toxiques de sa liste ne sont pas interdits, mais les pays exportateurs doivent prévenir les pays importateurs de leurs dangers potentiels.

Selon le président de la mine Jeffrey d'Asbestos, Bernard Coulombe, l'ajout du chrysotile à cette liste signerait pratiquement l'arrêt de mort de l'industrie québécoise de l'amiante. «On est en train de chercher du financement pour finir la construction de notre grande mine souterraine, qui devrait durer pour les 25 prochaines années. Pensez-vous que je vais trouver beaucoup d'investisseurs si le chrysotile est classé produit dangereux à déclarer auprès de tous les pays acheteurs?»