C'est aujourd'hui qu'ont lieu les funérailles d'un homme et de ses trois enfants, morts le soir du Nouvel An à Saguenay, dans ce qui semble être un pacte de suicide avec la mère des petits. Celle-ci, qui a survécu à cet horrible drame, restera à l'hôpital, incapable d'assister à la cérémonie. Depuis quelques jours, les Saguenéens font face à une douloureuse incompréhension. Portrait d'une communauté en état de choc.

Deux pelles sont au garde-à-vous près de la porte d'entrée. Une voiture Toyota est garée dans la cour. Des sacs de déchets traînent à côté du bac de recyclage.

La vie semble suivre son cours autour de la maison de la rue du Portage. Pourtant, Joëlle, 12 ans, Marc-Ange, 7 ans, et Louis-Philippe, 4 ans, ainsi que leur père, Marc Laliberté, sont morts dans cette maison, le soir du Nouvel An. Quant à leur mère, Cathie Gauthier, elle a survécu. C'est elle qui a appelé les policiers. Cinq jours plus tard, elle a été accusée du meurtre prémédité de ses enfants et d'avoir aidé son mari à se suicider.

Mardi dernier, il n'y avait déjà plus de périmètre de sécurité autour de la maison.

Le lendemain, en fin d'après-midi, des lumières étaient allumées à l'intérieur. Des ombres bougeaient. Des membres des deux familles étaient venus chercher des vêtements pour habiller les morts, dont les funérailles ont lieu aujourd'hui. «Ils sont démolis», nous a dit le policier qui les accompagnait.

Une grande question hante les Saguenéens : pourquoi Marc Laliberté et sa femme ont-ils conclu un pacte de suicide, comme le supposent les policiers? On sait seulement que le couple avait des ennuis financiers. L'homme avait déclaré faillite pour la troisième fois l'automne dernier.

Quelques jours avant le drame, Marc Laliberté avait reçu de la banque un avis l'informant que son compte était à découvert et qu'il devait y déposer les fonds nécessaires.

De là à vouloir mourir après avoir tué ses trois enfants?

Karine Gagnon, la voisine d'en face, a passé deux nuits sans dormir. « J'ai pris ça dur. Tu penses à la situation et tu te dis que ça n'a pas d'allure. Trois enfants...»

Dans la nuit du 1er janvier, un peu avant minuit, Mme Gagnon a été réveillée par du bruit qui venait de l'extérieur. Elle s'est rendormie aux côtés de son mari sans se poser trop de questions.

Le lendemain matin, c'était le branle-bas de combat devant sa maison. Les policiers et les médias avaient envahi la rue. Pas question pour Mme Gagnon et son mari de rester une minute de plus dans le quartier, appelé le Domaine-du-Roy.

«Nous sommes partis toute la journée dans un chalet et le lendemain aussi », raconte Mme Gagnon.

La mère nous parle en chuchotant. Son petit Joey, 5 ans, joue un peu plus loin dans le salon. « Mon fils n'est pas au courant. Il est trop sensible... Je ne me sens pas l'obligation de lui dire la vérité. Quand ça s'est produit, je lui ai dit qu'il y avait eu un dégât d'eau chez les voisins.»

Après avoir vécu en Abitibi pendant quelques années, la famille Laliberté-Gauthier avait emménagé rue du Portage en juillet dernier. Arrivée récemment, elle était peu connue du voisinage. Pour Mme Gagnon, c'était une famille comme les autres. «Ils étaient tout le temps dehors, indique Mme Gagnon. La petite fille de 12 ans était toujours en train de surveiller ses petits frères. J'avais pensé lui demander de garder chez nous.»

Karine Gagnon ne peut s'empêcher de se mettre dans la peau de Cathie Gauthier, surtout quand elle s'est réveillée à l'hôpital et qu'elle a compris que ses enfants et son mari étaient morts. «En tant que mère, je me dis... Elle aurait quasiment dû partir avec eux. Je ne sais pas comment elle va passer au travers.»

«Un mal à l'âme»

L'automne dernier, Cathie Gauthier a travaillé dans deux boutiques du centre commercial Place du Royaume. Ses anciennes collègues sont unanimes : la femme de 36 ans avait l'air triste. «Elle était renfermée, elle parlait peu. On ne savait rien de sa vie, indique la gérante de la boutique Maryse Petite. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans sa tête.»

Guylaine Potvin, propriétaire du magasin Guylen & Charlie, parle d'un «mal à l'âme». «La tristesse se lisait dans son visage. Mais elle parlait de ses enfants, qu'elle aimait.»

Mme Gauthier a quitté ces deux emplois d'elle-même. Quant à son mari, Lana Lapointe l'a embauché comme agent immobilier à La Capitale, en septembre dernier. Mais il a remis sa démission deux mois plus tard.

La courtière n'avait rien remarqué qui peut laisser deviner ses idées noires. « J'ai fait un méchant saut quand j'ai vu les nouvelles. C'est un choc pour tout le monde. Il n'y a pas de mots. C'est triste. Mais c'est la famille qui fait pitié dans tout ça.»

Au Jean Coutu d'Amos, en Abitibi, où M. Laliberté a travaillé pendant deux ans avant de déménager à Chicoutimi, une collègue a dit cette semaine que l'homme était d'humeur dépressive, de même que sa femme. Le couple serait parti de l'Abitibi sans le dire à personne.

Un choc pour tous

La famille de Cathie Gauthier est originaire de Dolbeau-Mistassini. Quant à Marc Laliberté, il a grandi pas très loin de là, à Normandin.

La famille Laliberté est très connue dans ce petit village de 3000 âmes situé à deux heures de route de Chicoutimi, au nord-ouest du Lac-Saint-Jean. Le père de Marc, Cyrille Laliberté, n'a pas voulu nous parler. Après le deuil de sa femme, morte l'an dernier, il doit faire celui de son fils.

Quant à son frère, Alain Laliberté, il allait rencontrer la famille Gauthier à Chicoutimi quand nous l'avons croisé par un froid glacial. «Je ne veux pas vous parler pour l'instant, il n'y a rien à dire.»

Au restaurant Chez Marcel, les clients avaient la mine basse. «C'est terrible. Le père vient ici prendre son café. Mais depuis une couple de jours, il ne vient plus...»

«Ici, tout le monde se connaît, indique le curé de la paroisse, Pierre Boudreault. Les gens sont compatissants. Il n'y a pas grand jugement qui se fait.»

«Elle a besoin d'aide»

Quant à Cathie Gauthier, son avocat indique qu'elle est atterrée. «Il y a un constat qui est irréversible. Le 1er janvier 2009, elle a perdu ses trois enfants et son mari», dit Me Dominic Bouchard.

La femme de 33 ans est toujours à l'hôpital. Blessée au poignet le soir du drame, elle a perdu beaucoup de sang. Aujourd'hui, elle n'assistera pas aux funérailles de son mari et de ses enfants.

Même si elle fait face à quatre chefs d'accusation de nature criminelle, elle aurait techniquement pu demander la permission de sortir de l'hôpital. Mais, dans son état, ce serait trop d'émotions. Elle préfère rester sous les soins du personnel médical, toujours surveillée par des agents du service correctionnel.

Selon son avocat, elle pourrait rester à l'hôpital assez longtemps. «Jusqu'à mardi, elle ne pouvait parler qu'à moi. Là, il y a trois personnes à qui elle peut parler », signale Me Bouchard.

Les Saguenéens avec qui nous avons discuté ont beaucoup d'empathie à son égard. «Perdre un enfant, c'est la pire chose qui peut arriver. Moi, je me dis qu'elle a encore bien plus le goût de mourir. Elle a besoin d'aide», lance Diane Gagné, croisée dans un café du centre-ville.

« Ils sont restés enfermés dans leur sort. Ils auraient dû chercher des recours, ajoute son conjoint, Guy Caron. En tout cas, j'ai hâte qu'elle parle.»

Comme lui, les Saguenéens sont impatients d'entendre le témoignage de Cathie Gauthier.

En attendant, les camarades de Joëlle, Marc-Ange et Louis-Philippe doivent apprendre à apprivoiser la mort. Très souvent pour la première fois.

«Le petit Marc-Ange, c'est moi qui le transportais. Ce matin, tout le monde parlait de lui et se remémorait des souvenirs », nous a dit son chauffeur d'autobus, Gaétan Brossard, à la rentrée des classes.

«Il s'assoyait là, au deuxième banc, et il ne disait jamais un mot, poursuit-il. Des Marc-Ange, il n'y en a pas beaucoup. Quand j'ai appris ce qui s'était passé aux nouvelles, j'ai dit à ma femme : câline, c'est le petit Marc-Ange...»

«C'est des choses qu'on ne veut pas imaginer. C'est tragique», conclut le chauffeur de l'autobus 124.