Rebondissement spectaculaire hier dans le procès d'Omar Khadr, ce jeune Canadien toujours détenu à la prison américaine de Guantánamo. Khadr aurait affirmé à un agent du FBI avoir vu Maher Arar dans un camp d'entraînement terroriste d'Al-Qaeda en Afghanistan.

Appelé à la barre des témoins au début des audiences préliminaires au procès du jeune homme originaire de Toronto, à Guantánamo, l'agent Robert Fuller du FBI a soutenu hier qu'Omar Khadr avait identifié Maher Arar à partir de photographies qui avaient été soumises par ses interrogateurs plusieurs mois après avoir été capturé en Afghanistan en juillet 2002.

 

L'agent du FBI a affirmé devant le juge, le colonel Patrick Parrish, que M. Khadr avait réussi à identifier Maher Arar par son nom même si les deux hommes ne s'étaient jamais rencontrés au Canada. M. Khadr aurait toutefois vu Maher Arar dans des repaires d'Al-Qaeda et dans des camps d'entraînement en Afghanistan.

«Il l'a identifié par son nom. Il m'a dit qu'il ne l'avait jamais vu au Canada», a témoigné Robert Fuller, qui a ajouté que M. Khadr a peut-être même aperçu Maher Arar dans un camp d'entraînement près de Kaboul, la capitale de l'Afghanistan.

Omar Khadr est accusé par les autorités américaines d'avoir lancé une grenade qui a coûté la vie à un soldat américain en Afghanistan en 2002. Il est le seul Canadien détenu à la prison de Guantánamo. Il attend son procès depuis bientôt sept ans.

Maher Arar est ce Canadien d'origine syrienne toujours soupçonné par les autorités américaines d'avoir eu des liens avec le réseau terroriste Al-Qaeda. En 2002, M. Arar, ingénieur de formation, a même été arrêté à New York par les autorités américaines et a été expulsé en Syrie, où il a été emprisonné et torturé pendant près d'un an avant d'être relâché.

Blanchi par une commission d'enquête

M. Arar a toujours nié avec véhémence avoir séjourné dans un camp terroriste d'Al-Qaeda.

Une commission d'enquête publique présidée par le juge Dennis O'Connor a d'ailleurs blanchi M. Arar de tout lien avec une organisation terroriste. Dans son rapport final, le juge a conclu que la GRC avait fourni aux autorités américaines des informations erronées au sujet de M. Arar avant qu'il ne soit expulsé.

À la suite de ce rapport, le gouvernement Harper a offert des excuses publiques à M. Arar et lui a versé une somme de 10,5 millions de dollars en guise de compensation financière en janvier 2007.

Même s'il a été totalement blanchi, les autorités américaines ont refusé de retirer le nom de Maher Arar de leur liste d'individus qui sont persona non grata aux États-Unis. Toutefois, la secrétaire d'État Condoleezza Rice avait admis, en octobre 2007, que l'administration de George W. Bush avait mal géré cette affaire, sans aller jusqu'à présenter des excuses à M. Arar.

Il a été impossible, hier soir, d'obtenir les commentaires de Maher Arar, qui vit maintenant à Kelowna, en Colombie- Britannique. Le gouvernement Harper n'a pas voulu non plus commenter ce nouveau rebondissement. L'ancien ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, qui est aujourd'hui titulaire du Commerce international, a fait des pressions sur les autorités américaines pour que soit rayé le nom de M. Arar de la liste des personnes interdites de séjour aux États-Unis.

Également hier, une agente des services de renseignement américains a soutenu durant les audiences qu'Omar Khadr lui avait avoué avoir lancé la grenade qui a tué un militaire américain en Afghanistan, en juillet 2002.

Selon l'agente, identifiée seulement par le nom d'Interrogateur 11, l'incident s'est produit après la mort de trois autres hommes, tués par les forces américaines. Omar Khadr, partiellement aveuglé par ses blessures, se cachait alors dans un buisson.

L'avocat d'Omar Khadr, le lieutenant commandant William Kuebler, a rétorqué que les aveux d'Omar Khadr ont été obtenus sous la torture et la force et il a demandé au juge de les rejeter. «C'est faux et nous pouvons le prouver. Nous avons des photos que nous n'avons pas pu présenter encore qui démontrent que c'est faux», a-t-il dit.

Le juge Parrish devrait décider aujourd'hui si le procès de Khadr, qui doit débuter le 26 janvier, ira de l'avant ou sera repoussé pour laisser à la défense plus de temps pour se préparer.

Les rebondissements d'hier sont survenus à la veille de l'investiture du nouveau président Barack Obama à Washington. En campagne électorale, M. Obama a promis de fermer la prison de la base navale américaine de Guantánamo, à Cuba.

Un vent d'optimisme souffle d'ailleurs dans le camp de la défense après sept ans d'attente. On croit que le processus judiciaire entamé contre Omar Khadr pourrait bientôt s'arrêter si le nouveau président donne suite rapidement à sa promesse de fermer cette fameuse prison décriée par les groupes des droits de la personne du monde entier.

Encore des mois

Malgré la promesse de Barack Obama, l'administration militaire américaine compte poursuivre les procédures entreprises contre Omar Khadr. Cela a fait dire à l'avocat du jeune Canadien que cette situation était à l'image de la prison de Guantánamo, qui a «commencé dans la confusion et le chaos, et qui va finir de même».

Il pourrait s'écouler au moins trois mois après l'adoption d'un décret par l'administration Obama avant que la prison ne soit fermée. En outre, la nouvelle administration américaine devra décider du sort des 250 détenus qui y sont toujours emprisonnés. Omar Khadr est le dernier citoyen d'une démocratie occidentale à être encore détenu à Guantánamo. Les autres ont tous été rapatriés dans leur pays d'origine pour y être jugés ou libérés. Le gouvernement Harper subit de fortes pressions depuis quelques mois pour qu'il rapatrie Khadr.