Pour les uns, la bataille des plaines d'Abraham consacre la défaite des francophones en Amérique. Pour d'autres, c'est une victoire qu'il convient de célébrer. La Commission des champs de bataille nationaux veut souligner le 250e anniversaire de cet événement crucial dans l'histoire du Québec et du Canada par diverses manifestations. Une initiative qui soulève la controverse. Son président, André Juneau, s'explique; l'ex-ministre péquiste Lise Payette réplique.

Oui

André Juneau, président de la Commission nationale des champs de bataille

Q- Pourquoi faut-il commémorer 1759?

 

R- La réponse est très claire dans l'esprit de beaucoup de monde du milieu historique. La bataille des plaines d'Abraham s'inscrit dans un cheminement historique qui a fait que l'Amérique est devenue ce qu'elle est aujourd'hui, que le Québec est ce qu'il est aujourd'hui. C'est un événement important. Quand on a consulté pour savoir si c'était quelque chose à commémorer, unanimement, les historiens nous ont dit: on ne peut pas passer à côté.

Q- Donc, vous avez consulté des historiens avant de passer à l'action?

R- Oui. D'ailleurs, certains nous ont appelés récemment pour nous dire qu'il fallait absolument que ça ait lieu. Notre mandat, c'est la préservation des Plaines, mais aussi l'éducation historique. Pourquoi y a-t-il un champ de bataille, qu'est-ce qui s'est passé là?

Q- Des gens critiquent cette initiative en demandant pourquoi on célébrerait une défaite...

R- La commémoration n'est pas associée à une défaite ou à une victoire. Elle est associée à l'importance de l'acte historique. Il y a une commémoration annuelle d'Hiroshima. Il y a des Japonais. Et je pense qu'on peut s'entendre pour dire qu'ils n'ont pas gagné. La Société nationale des Acadiens commémore la déportation. Il y a une commémoration de Waterloo, exactement comme ce qui va se passer sur les Plaines.

Q- Oui, mais à Waterloo, les Français ont refusé de participer et la bataille ne se déroule pas chez eux, mais en Belgique.

R Maintenant, ils participent. C'est écrit dans leur dépliant. Les Français seront d'ailleurs là l'été prochain, sur les Plaines. Ils viennent rappeler une page d'histoire importante.

Q- Avez-vous été surpris de la controverse et pourriez-vous adapter la programmation parce que certains ont été choqués?

R La Commission des champs de bataille est un organisme fédéral, mais le conseil d'administration est composé essentiellement de francophones de Québec. Nous sommes tous sensibles à ça. Mais la Commission a un devoir d'histoire.

Q- Est-ce que M. Charest devrait assister à la commémoration, selon vous?

R On n'a jamais fait de ces reconstitutions des activités politiques. Aucun politicien n'a jamais pris la parole et ça n'arrivera pas cette année non plus. Si M. Charest ou Mme Verner veulent venir, ils sont les bienvenus. Mais ce n'est pas une manifestation politique.

NON

Non

Lise Payette, ancienne ministre péquiste

Q- Pourquoi ne devrait-on pas commémorer 1759?

R Je trouve ça risqué. Je ne veux pas accabler les gens qui ont eu cette idée, je veux croire qu'ils l'ont eue de bonne foi. Mais je trouve que c'est un mauvais moment. Nous sommes actuellement fragilisés. Notre société est fragile. Ce que nous vivons par rapport à la sauvegarde du français nous fait craindre le pire en ce qui concerne le Québec, et il me semble qu'une activité comme celle-là, c'est comme mettre de l'huile sur un feu, sur une braise. Ce n'est pas une bonne idée.

Q- Est-ce qu'on a voulu mettre de l'huile sur le feu, selon vous?

R- Je ne crois pas que ce soit volontaire, mais ça risque d'être le résultat. Dans une société fragilisée, on a l'obligation de se poser doublement la question. Est-ce qu'on risque de provoquer des choses qu'on ne veut pas provoquer?

Q- Dans d'autres pays, on organise ce type de reconstitution. Pourquoi pas au Québec?

R Je sais qu'on le fait en Europe et aux États-Unis, mais ce ne sont pas du tout les mêmes circonstances. On n'est pas militaristes, au Québec. On ne cultive pas les batailles, on ne tient pas à s'en souvenir, surtout qu'on n'en a pas gagné beaucoup. Donc, c'est une commémoration qu'on est prêts à vivre. Oui, au Japon, on commémore Hiroshima. Mais le Japon est un pays souverain. Quand on commémore un événement comme celui-là, on le fait par libre choix. Ici, on ne fait pas grand-chose par libre choix. On nous impose souvent des choses quand nous ne les voulons pas. Quand nous serons en mesure de décider nous-mêmes que nous voulons commémorer cette bataille, nous le ferons. Mais nous le ferons comme société qui sait qui elle est, où elle s'en va et ce qu'elle est en train de devenir.

Q- Ça a créé un malaise, toute cette histoire. Les gens ont de la difficulté à se prononcer contre cette commémoration. Pourquoi?

R- C'est très difficile d'avoir une opinion et de l'affirmer en ce moment. Cette entrevue, je vais en entendre parler pendant des semaines. Il y a des gens qui préfèrent donc se taire. Ce n'est pas mon cas.