Le bottin téléphonique est pour plusieurs une mine de renseignements très utile. Mais de plus en plus, il a ses détracteurs: ceux qui croient qu'il est un symbole de gaspillage, un fléau environnemental et une source de pollution. Le point sur cette brique qui a la couenne dure.

Rue Adam, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, La Maison de l'économie sociale est un petit édifice où sont regroupés quatre organismes communautaires. Une trentaine de personnes y travaillent. Ces organismes reçoivent une cinquantaine d'exemplaires d'annuaires téléphoniques par année.

 

«On est comme dans un marché captif, soupire Karel Ménard, directeur du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, un des organismes qui logent dans cet immeuble. Veut, veut pas, nous les recevons. Nous devrions avoir le choix de nous rendre dans des endroits désignés pour prendre le nombre d'exemplaires que nous voulons.»

En plein coeur du centre-ville de Montréal, l'édifice Le Tadoussac compte 325 appartements et reçoit, trois fois par année, 300 bottins dont les deux tiers ne trouvent pas preneur. «Une centaine de personnes en prennent un et les autres restent là. On les garde deux mois, après quoi on les jette dans le conteneur», se désole Denis Gariépy, surintendant de l'immeuble.

Qu'elles proviennent d'écologistes, de citoyens ou d'entreprises, certaines voix s'élèvent contre la persistance des encombrants annuaires. À l'ère de l'internet et des communications électroniques, la grosse brique de papier n'a plus sa raison d'être, disent-elles.

Or, cette façon de voir les choses contraste avec la réalité. Car dans un marché peu réglementé, les Montréalais reçoivent un, deux, voire trois bottins téléphoniques d'entreprises commerciales: ceux du Groupe Pages Jaunes, le plus important imprimeur d'annuaires (plus de 30 millions d'exemplaires au Canada), de Vidéotron et de CampagnesQuébec, branche québécoise de CanPages, un groupe de Vancouver.

Pages jaunes offrira le choix en 2009

Mais il y a du changement dans l'air. Au Groupe Pages jaunes, la directrice des communications, Annie Marsolais, annonce que, à compter de 2009, les abonnés résidentiels auront le choix de recevoir ou non le célèbre annuaire. Elle ne peut cependant préciser ni la date ni le mécanisme qui sera proposé aux clients. Les modalités restent à définir.

Cela dit, Mme Marsolais défend avec vigueur l'utilité de la version papier de cet outil. «L'annuaire imprimé continue à être utile pour une majorité de Québécois et de Canadiens, dit-elle. Évidemment, on ne joue pas à l'autruche. Les taux d'utilisation ne sont pas à la hausse. C'est l'internet qui est en hausse. Mais il y a encore une majorité de gens qui utilisent l'imprimé.»

Dans les marchés urbains, on a moins tendance à utiliser les médias imprimés, comme les bottins et les journaux, ajoute-t-elle. Mais dans les zones plus rurales, où les services internet ne sont pas aussi efficaces, le bon vieil annuaire est encore très utile. Quant aux annonceurs, ils y trouveraient leur compte. Un dollar de publicité investi dans les Pages jaunes rapporterait autour de 26$ de revenus, assure la porte-parole.

Que répond Groupe Pages jaunes à ceux qui disent qu'on distribue trop d'annuaires dans les édifices à logements ou à bureaux? «Nous avons des ententes avec nos distributeurs par lesquelles ils doivent communiquer avec les responsables de ces édifices pour connaître la quantité de bottins à livrer», dit Mme Marsolais. À leur tour, les distributeurs passent leur commande à l'imprimeur.

De cette façon, dit la porte-parole, cela tend à réguler le nombre d'annuaires imprimés. Quant aux plaintes, elles sont rares. «À l'échelle canadienne, nous en recevons autour de cinq par mois», assure-t-elle.

Autre aspect que défend Mme Marsolais: les annuaires du Groupe Pages jaunes (GPJ) sont fabriqués à partir de matières recyclées et de résidus des coupes forestières. «On ne coupe pas d'arbres», dit-elle. De plus, l'entreprise, qui utilise des encres végétales et des colles non polluantes, travaille avec des organisations écologistes pour améliorer ses méthodes.

Mais certains aimeraient qu'on aille encore plus loin. «Nous défendons le principe de la responsabilité élargie, dit Karel Ménard. Lorsqu'on met un tel produit en marché, on devrait l'éliminer de façon responsable.»

«Il est plus facile de gérer un produit à la source et non une fois qu'il est mis en marché», dit de son côté Lysianne Panagis, coordonnatrice d'Action-Rebuts. Pour elle, les citoyens devraient avoir le loisir de mettre à leur porte un autocollant «Pas d'annuaire», comme il en existe pour les circulaires. Elle accueille favorablement l'intention de GPJ de permettre aux citoyens d'avoir le choix de recevoir ou non un annuaire.

Des annuaires... obligatoires

On peut bien râler, mais il reste qu'un règlementat du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) rend obligatoire la distribution des annuaires. Du moins pour les entreprises réglementées par le CRTC, comme Bell. Au cours des dernières années, une entente a permis de réduire à une fois aux deux ans la distribution des pages blanches dans les grandes villes.

À noter que, dès qu'une entreprise possède une ligne commerciale, son nom se trouve inscrit sans frais dans les Pages jaunes. C'est pourquoi on y trouve plusieurs organisations vouées à... l'environnement.

 

De 14 000 à 800 annuaires à l'UdeM

Au cours de l'année 2003-2004, l'Université de Montréal a découvert avec stupéfaction qu'un annuaire téléphonique de pages blanches et un autre de pages jaunes étaient distribués pour chaque téléphone du campus. Comme il y a 7000 téléphones, cela faisait 14 000 annuaires! Mais l'UdeM a imposé des règles: un bottin par secrétariat de département ou d'unité administrative. Aujourd'hui, l'université reçoit 800 annuaires par an, une réduction de 94%. À McGill, on a mis fin à l'impression annuelle de 12 000 annuaires téléphoniques du personnel du campus. Une version PDF est maintenant publiée en ligne.

 

Le bottin a 190 ans

Le bottin téléphonique doit son nom à Sébastien Bottin, un prêtre français qui abandonna sa vocation pour devenir administrateur et statisticien. Né en 1764, il lance, en 1797, son annuaire du commerce et de l'industrie qui devient l'Almanach Bottin en 1819. Le nom est devenu générique en 1867, selon Le Petit Robert. À la mort de Bottin, en 1853, son entreprise fut reprise par la société Didot, qui s'est installée dans des locaux parisiens où se trouvent aujourd'hui les Éditions Gallimard. Quant aux Pages jaunes, elles ont célébré leur centenaire en 2008.

 

Albany a décidé de réglementer

La capitale de l'État de New York, Albany, s'apprête à réglementer la distribution des annuaires téléphoniques. Désormais, ceux-ci devront être déposés à moins de 3m de la porte des édifices. De plus, les éditeurs seront dans l'obligation d'indiquer, sur la page couverture ou dans la table des matières, comment faire pour se désabonner de la livraison. La règle des 3m était nécessaire parce que des résidants trouvaient des bottins un peu partout sur leur terrain.